Discours de la Servitude à la Liberté

Discours de la Servitude à la Liberté – Extrait

Mais quoi ! Si pour avoir la liberté, il ne faut que la désirer ; s’il ne suffit pour cela que du vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la payer trop chère en l’acquérant par un simple souhait ? Et qui regrette sa volonté à recouvrer un bien qu’on devrait racheter au prix du sang, et dont la seule perte rend à tout homme d’honneur la vie amère et la mort bienfaisante ? Certes, ainsi que le feu d’une étincelle devient grand et toujours se renforce, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter : pareillement plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge ; ils se fortifient d’autant et sont toujours mieux disposés à anéantir et à détruire tout ; mais si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point ; sans les combattre, sans les frapper, ils demeurent nus et défaits : semblables à cet arbre qui ne recevant plus de suc et d’aliment à sa racine, c’est bientôt qu’une branche sèche et morte.

Pour acquérir le bien qu’il souhaite, l’homme entreprenant ne redoute aucun danger, le travailleur n’est rebuté par aucune peine. Les lâche seuls, et les engourdis, ne savent ni endurer le mal, ni recouvrer le bien qu’ils se bornent à convoiter. L’énergie d’y prétendre leur est ravie par leur propre lâcheté ; il ne leur reste que le désir naturel de le posséder. Ce désir, cette volonté innée, commune aux sages et aux fous, aux courageux et aux couards, leur fait souhaiter toutes choses dont la possession les rendrait heureux et contents.

Il en est une seule que les hommes, je ne sais pourquoi, n’ont pas même la force de désirer. C’est la liberté : bien si grand et si doux ! que dès qu’elle est perdue, tous les maux s’ensuivent, et que, sans elle, tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur.

La seule liberté, les hommes la dédaignent, uniquement, ce me semble, parce que s’ils la désiraient, ils l’auraient : comme s’ils se refusaient à faire cette précieuse conquête, parce qu’elle est trop aisée  »

Étienne de La Boétie


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