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Acceptez que le Christ soit à genoux

Simon-Pierre lui dit : « Toi Seigneur, me laver les pieds ? »
Jésus répond : « Ce que je fais tu ne peux pas le savoir à présent mais par la suite tu comprendras. »
Pierre lui dit : « Me laver les pieds à moi, jamais ! »
– Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas les pieds, tu ne peux pas avoir part avec moi.
(Jean 13, 6-8)

Acceptons que le Christ nous lave les pieds, de nous laisser aimer, porter : acceptons d’être faibles. Quel mystère de voir notre Maître et Seigneur à genoux devant nous dans la position de l’esclave en train de nous laver les pieds… Il nous faut accepter alors de faire pour les autres ce que le Christ Jésus a fait pour nous (cf. Jn 13,14-15).
Accepter de faire les uns pour les autres ce geste du service. L’homme n’est pas fait pour dominer, écraser, mais pour aimer, relever.
Lorsque nous décidons d’aimer, lorsque que nous sommes engagés dans une relation d’amour ou d’amitié, il ne faut pas chercher à capter l’autre pour être comblé par lui. Il ne faut pas chercher à le dominer pour qu’il devienne ce que nous aimerions qu’il soit « pour moi », mais simplement aimer de cet amour qui soulève, porte, qui donne à l’homme d’être élevé comme le Christ a été élevé sur le trône de la Croix pour entrer dans la royauté du Seigneur, la royauté de l’amour par la puissance de la vie, par la puissance du Père. En le ressuscitant, il nous appelle à la Résurrection

Mgr Jérôme Beau

« Le publicain… n’osait même pas lever les yeux vers le ciel »

A propos de la parabole du pharisien et du publicain (Luc 18, 9-14.) :     

pharisien-et-publicainQuel est le vase où la grâce se déverse de préférence ? Si la confiance est faite pour recevoir en elle la miséricorde, et la patience pour recueillir la justice, quel récipient pourrons-nous proposer qui soit apte à recevoir la grâce ? Il s’agit d’un baume très pur et il lui faut un vase très solide. Or quoi de plus pur et quoi de plus solide que l’humilité du cœur ? C’est pourquoi Dieu « donne sa grâce aux humbles » (Jc 4,6) ; c’est à juste titre qu’il « a posé son regard sur l’humilité de sa servante » (Lc 1,48). À juste titre parce qu’un cœur humble ne se laisse pas occuper par le mérite humain et que la plénitude de la grâce peut s’y répandre d’autant plus librement…

Avez-vous observé ce pharisien en prière ? Il n’était ni un voleur, ni injuste, ni adultère. Il ne négligeait pas non plus la pénitence. Il jeûnait deux fois par semaine, il donnait le dixième de tout ce qu’il possédait… Mais il n’était pas vide de lui-même, il ne s’était pas dépouillé lui-même (Ph 2,7), il n’était pas humble, mais au contraire élevé. En effet, il ne s’est pas soucié de savoir ce qui lui manquait encore, mais il s’est exagéré son mérite ; il n’était pas plein, mais enflé. Et il s’en est allé vide pour avoir simulé la plénitude. Le publicain, au contraire, parce qu’il s’est humilié lui-même et qu’il a pris soin de se présenter comme un vase vide, a pu emporter une grâce d’autant plus abondante.

Saint Bernard (1091-1153), moine cistercien et docteur de l’Église
3e sermon sur l’Annonciation, 9-1

La prière du pauvre traverse les nuées

Être chrétien, c’est ne même pashumilite arriver à lever les yeux au ciel et cependant, laisser jaillir de son coeur la joie et le regret, la crainte de ne jamais arriver à être saint et l’espoir de le devenir quand même. C’est toucher une statue, faute de mieux, allumer une bougie, pousser un soupir, murmurer un « Je vous salue Marie » ; c’est déverser le fardeau en vrac parce qu’il est devenu trop lourd, c’est tout confier sans ordre, sans méthode, sans précaution.

C’est dire à Dieu : « Je suis là. Prends-moi dans ta miséricorde. J’ai quinze ans, vingt ans, quarante ans, soixante, plus. Je ne sais pas très bien ou j’en suis, ou bien je le sais trop. Mais prends-moi dans ta miséricorde. Je ne suis pas digne de toi, Seigneur, mais sans toi, je ne peux pas avancer. »

Car cette prière-là, cette prière nue, cette prière fondamentale, la plus pauvre qui soit, déchire les nuées et saisit le coeur de Dieu. N’ayez pas peur de votre prière. Laissez-la jaillir librement. Un père n’attend qu’une chose de ses enfants, si loin qu’ils soient de lui : qu’ils l’appellent. Alors, de son coeur touché comme par une lance, jaillit sa force et son amour, et sa joie.

Homélie du Frère Yves Combeau, dominicain
Messe du dimanche 23 octobre 2016
en direct de l’église Sainte-Jeanne-d’Arc
à Rennes (Ille-et-Vilaine)

Le péché n’intéresse pas Dieu

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Il faut le dire avec force : le péché n’intéresse pas Dieu.  Ce qui l’intéresse, c’est toi, c’est moi. Ce qu’il veut, c’est que nous nous tournions vers lui, que nous cherchions sa face, que nous marchions à son pas. Tout ce qui nous retient d’être avec Dieu lui est souffrance. (…) Dieu ne supporte pas que l’homme souffre de honte. Il ne veut pas de ce ver qui ronge à petit feu nos forces et nous rend plus petits que nous-mêmes. Il veut pour nous largesse, hauteur, grande vie. Il veut pour nous la dilatation de la joie, et la honte la rend impossible, alors il la couvre et il ferme les yeux.

Anne Lécu in « Tu as couvert ma honte »
Ed du Cerf

La prière du Carême

94338992Seigneur et Maître de ma vie,
l’esprit d’oisiveté, de découragement,
de domination et de vaines paroles,
éloigne de moi.

L’esprit d’intégrité, d’humilité,
de patience et de charité,
accorde à ton serviteur.

Oui, Seigneur et Roi,
donne-moi de voir mes fautes
et de ne pas juger mon frère,
car tu es béni aux siècles des siècles. Amen.

Saint Éphrem le Syrien (+373)

Vaincre l’orgueil

humilitéLa prière du Carême énumère d’une façon très heureuse tous les éléments négatifs et positifs du repentir, et constitue en quelque sorte un aide-mémoire pour notre effort personnel de Carême. Cet effort vise d’abord à nous libérer de certaines maladies spirituelles fondamentales qui imprègnent notre vie et nous mettent pratiquement dans l’impossibilité de commencer même à nous tourner vers Dieu.

La maladie fondamentale est l’oisiveté, la paresse. Elle est cette étrange apathie, cette passivité de tout notre être, qui toujours nous tire plutôt vers le bas que vers le haut, et qui, constamment, nous persuade qu’aucun changement n’est possible, ni par conséquent désirable. C’est, en fait, un cynisme profondément ancré qui, à toute invitation spirituelle, répond :  » À quoi bon ?  » et qui fait ainsi de notre vie un désert spirituel effrayant. Cette paresse est la racine de tout péché, parce qu’elle empoisonne l’énergie spirituelle à sa source même.

La conséquence de la paresse, c’est le découragement. C’est l’état d’acédie, ou de dégoût, que tous les Pères spirituels regardent comme le plus grand danger pour l’âme. L’acédie est l’impossibilité pour l’homme de reconnaître quelque chose de bon ou de positif : tout est ramené au négativisme et au pessimisme. C’est vraiment un pouvoir démoniaque en nous, car le diable est fondamentalement un menteur. Il ment à l’homme au sujet de Dieu et du monde ; il remplit la vie d’obscurité et de négation. Le découragement est le suicide de l’âme, car lorsque l’homme en est possédé, il est absolument incapable de voir la lumière et de la désirer.

Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est précisément la paresse et le découragement qui emplissent notre vie du désir de domination. En viciant entièrement notre attitude devant la vie, et en la rendant vide et dénuée de tout sens, ils nous obligent à chercher compensation dans une attitude radicalement fausse envers les autres. Si ma vie n’est pas orientée vers Dieu, ne vise pas les valeurs éternelles, inévitablement elle deviendra égoïste et centrée sur moi-même, ce qui veut dire que tous les autres êtres deviendront des moyens au service de ma propre satisfaction. Si Dieu n’est pas le Seigneur et Maître de ma vie, alors je deviens mon propre seigneur et maître, le centre absolu de mon univers, et je commence à tout évaluer en fonction de mes jugements. De cette façon, l’esprit de domination vicie à la base mes relations avec les autres , je cherche à me les soumettre. Il ne s’exprime pas nécessairement dans le besoin effectif de commander ou de dominer les autres. Il peut tout aussi bien tourner à l’indifférence, au mépris, au manque d’intérêt, de considération et de respect. C’est bien la paresse et le découragement, mais cette fois dans leur référence aux autres ; ce qui achève le suicide spirituel par un meurtre spirituel.

Et pour finir, les vaines paroles. De tous les êtres crées, seul l’homme a été doté du don de la parole. Tous les Pères y voient le  » sceau  » de l’image divine en l’homme, car Dieu lui-même s’est révélé comme Verbe (Jn 1,1). Mais du fait qu’il est le don suprême, le don de la parole est par là même le suprême danger. Du fait qu’il est l’expression même de l’homme, le moyen de s’accomplir lui-même, il est, pour cette raison, l’occasion de sa chute et de son autodestruction, de sa trahison et de son péché. La parole sauve et la parole tue ; la parole inspire et la empoisonne. La parole est instrument de vérité et la parole est moyen de mensonge diabolique. Ayant un extrême pouvoir positif, elle a, partant, un terrible pouvoir négatif. Véritablement, elle crée, positivement ou négativement. Déviée de son origine et de sa fins divines, la parole devient vaine. Elle prête main forte à la paresse, au découragement, à l’esprit de domination, et transforme la vie en enfer. Elle devient la puissance même du péché.

Voilà donc les quatre points négatifs visés par le repentir ; ce sont les obstacles qu’il faut éliminer ; mais seul Dieu peut le faire. D’où la première partie de la prière de Carême : ce cri du fond de notre impuissance humaine. Puis la prière passe aux buts positifs du repentir qui sont aussi au nombre de quatre.

Si l’on ne réduit pas la chasteté, comme on le fait souvent de façon erronée, à son acceptation sexuelle, la chasteté peut être considérée comme la contrepartie positive de la paresse. La traduction exacte et complète du terme grec sophrosyni et du russe tsélomoudryié devrait être  :  » totale intégrité « . La paresse est avant tout dispersion, fractionnement de notre vision et de notre énergie, incapacité à voir le tout. Son contraire est alors précisément l’intégrité. Si par le terme de chasteté, nous désignons habituellement la vertu opposée à la dépravation sexuelle, c’est que le caractère brisé de notre existence n’est nulle part ailleurs plus manifeste que dans le désir sexuel, cette dissociation du corps d’avec la vie et le contrôle de l’esprit. Le Christ restaure en nous l’intégrité et il le fait en nous redonnant la vraie échelle des valeurs, en nous ramenant à Dieu.

Le premier fruit merveilleux de cette intégrité ou chasteté est l’humilité. Elle est par-dessus tout la victoire de la vérité en nous, l’élimination de tous les mensonges dans lesquels nous vivons habituellement. Seule l’humilité est capable de vérité, capable de voir et d’accepter les choses comme elles sont et donc de voir Dieu, sa majesté, sa bonté et son amour en tout. C’est pourquoi il nous est dit que Dieu fait grâce à l’humble et résiste au superbe (Pr 3,34 ; Jc 4,6 ; 1P 5,6).

La chasteté et l’humilité sont naturellement suivies de la patience. L’homme  » naturel  » ou  » déchu  » est impatient parce que, aveugle sur lui-même, il est prompt à juger et à condamner les autres. N’ayant qu’une vision fragmentaire, incomplète et faussée de toutes choses, il juge tout à partir de ses idées et de ses goûts. Indifférents à tous, sauf à lui-même, il veut que la vie réussisse ici-même et dès maintenant. La patience, d’ailleurs, est une vertu véritablement divine. Dieu est patient non pas parce qu’il est  » indulgent « , mais parce qu’il voit la profondeur de tout ce qui existe, parce que la réalité interne des choses que, dans notre aveuglement, nous ne voyons pas, est à nu devant lui. Plus nous nous approchons de Dieu, plus nous devenons patients pour tous les êtres, qui est la qualité propre de Dieu.

Et enfin, la couronne et le fruit de toutes les vertus, de toute croissance et de tout effort, est la charité, cet amour qui ne peut être donné que par Dieu, ce don qui est le but de tout effort spirituel, de toute préparation et de toute ascèse.

Tout ceci se trouve résumé et rassemblé dans la demande qui conclut la prière de Carême et dans laquelle nous demandons  » de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère « . Car, finalement, il n’y a qu’un danger : celui de l’orgueil. L’orgueil est la source du mal et tout mal est orgueil. Pourtant, il ne me suffit pas de voir mes propres fautes, car même cette apparente vertu peut tourner en orgueil. Les écrits spirituels sont remplis d’avertissements contre les formes subtiles d’une pseudo-piété qui, en réalité, sous couvert d’humilité et d’auto-accusation, peut conduire à un orgueil vraiment diabolique. Mais quand nous  » voyons nos fautes  » et  » ne jugeons pas nos frères « , quand, en d’autres termes, chasteté, humilité, patience et amour ne sont plus qu’une même chose en nous, alors et alors seulement, le dernier ennemi – l’orgueil – est détruit en nous.

Extrait d’Alexandre Schmemann, Le Grand Carême :
Ascèse et Liturgie dans l’Église orthodoxe.
Éditions de l’Abbaye de Bellefontaine, 1977.