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L’archange Saint-Michel

Saint-Michel terrassant le démon (Raphaël, musée du Louvre, Paris)
Saint-Michel terrassant le démon (Raphaël, musée du Louvre, Paris)

L’archange Saint-Michel, chef des milices célestes, maintient sereinement en respect le démon à l’aide de sa lance.
Cette image est un modèle de ce que l’être humain incarné est capable de réaliser :

  • rester digne (la lance verticale)
  • en résistant à ses diverses tentations (le démon)
  • qui voudrait l’écarter de la noble cause qu’il est venu servir en s’incarnant terre (le visage paisible de Saint-Michel).

Résister aux tentations est un réel défi. C’est le défi de dire non aux désirs égoïstes qui empêchent d’entendre la voix du désir du cœur, c’est à dire de l’âme,
Le désir est en quête de plaisir. Après le plaisir, vient inéluctablement la souffrance à cause du manque… En réalité, il y a désir et désir. Désir de l’ego qui prend ? ou désir du cœur désintéressé ?

Le désir égoïste

Il existe trois issues possibles au désir égoïste :

  1. La première issue possible du désir égoïste est la satisfaction du désir par l’atteinte du plaisir qui remplit, anesthésie, puis éteint le niveau de conscience, comme pour gommer ou compenser une souffrance.
    Le plaisir a quelque chose d’élevant, d’enivrant mais aussi d’illusoire. Paradoxalement, le plaisir donne l’illusion d’élévation, car il fait planer : on se sent léger, éthéré. C’est tel une réminiscence du paradis perdu. Alors qu’en réalité, il s’agit d’une chute, puisque l’esprit s’engourdit et s’endort au lieu de se maintenir en éveil.
    Le but illusoire du commun des mortels est le plaisir pour le plaisir (ou hédonisme). C’est un but égoïste qui engendre la souffrance du manque ou de l’absence de l’objet désiré. Seule la conscience du pourquoi dans le vécu du plaisir permet de maintenir la conscience en éveil. Sans quoi la conscience s’éteint dans le plaisir. On croit que c’est une élévation alors que c’est une conscience de rêve, enivrante, certes, mais de rêve tout de même. C’est un paradis artificiel bien confortable et bien douillet : un mensonge en somme, car il nous écarte de notre vrai but.
    Cette attitude est omniprésente dans notre société, car elle fonctionne autour du culte du bonheur qui passe par le plaisir égoïste, particulièrement chez les personnes qui croient que la vie n’a pas de sens. Dénués de toute forme d’espérance, leur leitmotiv est : « à quoi bon ? ». Ainsi, le matérialisme bloque l’aspiration spirituelle que tout être humain à la base, porte pourtant en lui.
    La chute rend indigne.
    Les désirs égoïstes, la quête du bonheur et des plaisirs, empêchent de développer une éthique propre et les vertus qui en découlent. Au final, le désir égoïste nuit à la fraternité. C’est en cela qu’un individu non vertueux est indigne de sa condition humaine : car la chute dans la facilité et l’annihilation de toute envie de faire des efforts « gratuits » finit par rendre égoïste, voire infra humain, en sombrant dans ses désirs instinctifs.
    La chute, c’est la brèche créée en soi quand l’être est fatigué, ou quand il a des problèmes sentimentaux, relationnels ou autres : c’est une compensation pour oublier cette souffrance… Chuter amène à oublier sa propre aspiration et sa quête de sens. Chuter en cédant à la facilité, c’est comme une douce glissade… à peine perceptible mais tellement réelle. Chuter, c’est faire chuter sa conscience avec le dragon en moi qui nous tente, et nous attire subtilement dans les ténèbres.
    A cela peut s’ajouter la honte et le dénigrement de soi-même. Alors, on se « fait avoir » doublement : car on se renie deux fois, par la chute, puis par la honte (due à la culpabilité).
    Accepter de se pardonner, c’est essentiel pour retrouver sa dignité, pour se sentir à nouveau propre, lavé de ses « fautes ». C’est seulement à ce prix que l’on peut retrouver ses forces.
    L’ange vient alors souffler à l’oreille ceci :

« Le pardon de l’âme, du Christ est immanent. N’oublies jamais cela. »

  1. La seconde issue possible du désir égoïste est la non satisfaction du désir. Soit parce qu’il n’est pas accessible matériellement, soit parce qu’on se l’auto interdis : « il ne faut pas » ou « je ne peux pas ». C’est une soumission à une forme d’autorité, en aucun cas un choix issu d’une motivation profonde. C’est un choix qui vient de la tête et non du cœur.
    Finalement, il s’agit alors d’une fausse résistance à ses désirs. Cette deuxième issue est toute aussi fausse et tout aussi trompeuse que la première.
    Car dans ce cas, l’absence de plaisir tant recherché ou attendu génère une frustration accrue. En réalité, dans notre société consumériste où tout est permis, ceux qui ne peuvent satisfaire leurs désirs se nourrissent de haine, de jalousie et de colère, ce qui procure des effets destructeurs pour soi comme pour autrui, et pour la société en général, par exemple à travers la montée de la violence.
  2. La troisième issue du désir égoïste, moins courante, est de résister aux désirs par amour pour un but, ou une cause du cœur. L’image de Saint-Michel terrassant le dragon représente cette troisième voie.
    Se relever de sa chute pour retrouver sa dignité.
    Ne pas voir ses erreurs, ou le mal : c’est mal. Ne voir que ses erreurs et oublier ses victoires, c’est mal aussi, car elles servent aussi à se souvenir que l’être humain la force de relever ses défis. C’est sa nature ! Dans les deux cas on est indigne de son parcours de chevalier.
    Au lieu de se battre, contre de moulins à vent comme Don Quichotte, c’est à dire pour de fausses causes, il s’agit de donner aux autres ce qu’il y a de plus pur en soi, mais à qui ? et pour quelle cause ?
    Quand l’être se relève, le souvenir de l’expérience de ses travers et ses leçons apprises rendent plus fort, car davantage en terrain connu dans le monde des illusions. Alors, tel Perceval, le chevalier n’erre plus dans la forêt. Il apprend à en déjouer les pièges, à y relever ses défis, à passer les épreuves, afin de trouver la lumière qui se cache derrière ses désirs égoïstes, et de s’en servir pour répondre au désir de son cœur.
    Plus la motivation est forte, plus la dignité aide à le chevalier à se relever pour s’élever, devenir noble de cœur, et agis selon son le vœu de son âme.
    Résister aux désirs égoïstes
    Vouloir résister à ces désirs qui font chuter, cela semble être un non-sens dans notre société qui prône l’hédonisme par le plaisir des cinq sens et le culte du bonheur matériel. Le monde actuel nous invite sans cesse à céder à nos désirs : « il n’y a pas de mal à se faire du bien ». Mensonge souvent prononcé pour se donner bonne conscience et gommer la souffrance de la honte coupable.
    Parmi les désirs égoïstes, il existe les désirs matérialistes mais aussi d’autres désirs plus subtils et plus faciles aussi. Paradoxalement, il semble bien plus difficile de résister aux désirs qui amènent facilement le plaisir, et qui permettent de compenser ou d’étouffer le cri d’une souffrance intérieure due à un manque.
    Les désirs faciles sont tous ceux qui peuvent plonger dans le mensonge du faux monde divin: par l’alcool, la drogue, le sexe, le monde virtuel etc.
    Résister à ces désirs faciles qui font baisser le niveau de conscience, c’est un choix du cœur, et non pas parce que « il faut » ou « il ne faut pas », ce qui serait de l’obligation ou de l’autorité.
    Résister aux désirs faciles, cela se fait progressivement, pour grandir et se raffermir intérieurement avec sérénité et endurance.
    Bien entendu, on ne peut effacer d’un coup de baguette magique toute une vie basée sur la satisfaction de ses désirs égoïstes. Il semble présomptueux de croire pouvoir subitement résister à tout. Vouloir résister totalement et dès maintenant serait une illusion qui ne ferait qu’engendrer de la frustration et qui ne serait pas tenable dans le temps, sauf peut-être pour les ascètes ou les ermites !
    Seule l’autodiscipline, l’entraînement régulier du chevalier et une forte motivation, claire et consciente peuvent donner la force de résister et de tenir dans le temps. La régularité permet de tenir l’engagement, cela aide à trouver la force et à se souvenir de sa motivation pour résister.
    Résister à un désir égoïste, c’est une petite victoire qui est payante, car à chaque fois, c’est comme si l’être recevait une pierre précieuse. A chaque effort fait pour résister, c’est une pierre précieuse vient s’ajouter dans le coffre à trésors.
    Parfois, par grâce divine, un joyau vient s’ajouter dans ce coffre, tel une récompense, un encouragement à persévérer.
    Ainsi, même si l’être s’éloigne parfois très loin de sa nature divine, même s’il erre longtemps dans la forêt à jouer avec ses fantômes, même quand il se perd, l’ange répond toujours présent et ce malgré son indiscipline C’est une grâce qui est offerte à chaque fois, comme pour se rappeler qu’on est toujours protégé, quoi qu’il arrive, tel le bouclier du chevalier, symbolisant sa foi qui le protège.
    Pour conclure, résister à ses désirs égoïstes donne envie de faire des efforts pour progresser et devenir meilleur. L’individu en quête de sens s’améliore en développant des vertus, amenant la fraternité à l’image du Christ. La vertu la plus élevée est sans doute, celle de la compassion.
    Résister aux désirs permet d’utiliser l’énergie qui était mise dans la satisfaction des désirs égoïstes pour servir à la place une noble cause, chère à son cœur.
    En résistant au désir pour servir une noble cause, le plaisir devient alors tout autre : tel le chevalier, dans la victoire d’avoir su résister, la victoire ouvre le cœur et fait ressentir la paix et la sérénité, que l’on perçoit aussi en contemplant le visage de Saint-Michel, terrassant le dragon.
    Comment ne pas rechuter pour rester digne ?
    A l’image de l’ange déchu, plus on sombre dans les désirs qui amènent facilement un plaisir temporaire, plus les forces pour se ressaisir diminuent, comme si celle-ci étaient pompées, accaparées, volées par Dieu sait qui ! Dieu seul le sait en effet…
    Cela peut devenir une sorte de spirale infernale, un trou noir sans fond au point de ne plus trouver la force de résister aux désirs égoïstes et à la facilité. Pourtant, vu de l’extérieur, pour les autres, cela semble aussi si facile de dire STOP. Mais c’est plus difficile à faire concrètement, comme on était sous l’emprise d’un «autre » qui nous maintient sous son joug. Dans cet enlisement, seul face à soi-même et dans son propre néant, seul un fil ténu de conscience et de foi, ainsi que la prière à l’ange pour implorer son aide et sa divine protection peuvent permettre de ne pas sombrer totalement dans l’oubli de sa quête et de ce que l’on est véritablement en tant qu’être divin incarné.
    C’est pourquoi l’image de Saint-Michel terrassant le dragon n’est pas virtuelle, elle est bien réelle : la contempler lui donne vie en soi, pour s’en souvenir, l’intégrer en soi avec force, pour protéger ce qu’il y a de plus pur en soi, et aider à maintenir le monstre en respect à l’aide de la lance. Le monstre, c’est le dragon, ce vampire qui veut absorber notre énergie, qui en veut encore et toujours plus, en nourrissant nos illusions et nos désirs, en nous procurant un paradis artificiel. La lance, dans sa symbolique, aide à tenir la conscience en éveil, à trouver la force et la juste mesure, pour rester maître de la situation et du jeu.
    Faire de la place à la vraie lumière, la lumière spirituelle, telle est la noble cause.

Le désir du cœur

La gratitude est la mémoire du cœur

Le désir du cœur conscient ou non de tout être humain est d’exprimer le vœu de son âme. C’est d’ailleurs ce qu’il cherche quand il cherche son âme-sœur.
D’ailleurs, le plaisir, l’extase mystique que l’on peut connaître dans sa pratique spirituelle n’est en aucun cas un but mais une conséquence. Rare est le plaisir divin pour le commun des mortels. A en lire les écrits des mystiques, quand il se produit, il engendre une élévation de la conscience, si celle-ci peut-être maintenue, au moyen de la concentration, ou présence en esprit. Cela demande une volonté ferme et consciente, une sorte d’éveil même, tel que vécu lors les extases mystiques. C’est le plaisir qui élève vers Dieu, qui amène une élévation de l’âme accompagné un sentiment d’humilité, de gratitude et de complétude.
Ainsi l’extase mystique représente le plaisir poussé au paroxysme, à travers le plaisir divin. Bien entendu, ceux qui vivent ce type de plaisir divin reçoivent cette grâce justement parce qu’il n’est pas issu d’un désir. Ce plaisir n’est qu’une conséquence d’un travail ou d’une intention spirituelle désintéressée, pure, dépourvue de tout égoïsme, résultant d’un amour inclusif. Parfois ce plaisir divin est offert tel une grâce divine, comme une récompense ou un encouragement à poursuivre son chemin et ses efforts.
La Noblesse du cœur
L’être se sent indigne quand il se laisse happer par ses désirs égoïstes, car il sert son ego.
Il se sent digne quand il résiste par amour aux désirs faciles : il sert alors son âme.
Chaque petit pas qui est fait, pour résister à un désir égoïste facile à obtenir et qui aurait fait chuter le niveau de conscience, est un pas de plus vers son âme. Mais ce n’est pas encore la servir.
La servir, c’est utiliser concrètement pour elle cette énergie non mise dans l’accomplissement d’un désir égoïste, afin de servir une noble cause, altruiste, qui dépasse, en donnant de soi-même.
C’est exprimer ce qu’est la noblesse en soi quand l’être incarne et manifeste les qualités de son âme, gagnées de haute lutte.
A propos de la noblesse, est noble le chevalier qui au terme de sa quête a réalisé le Soi, tel Perceval en recevant le Saint Graal.

© Rosa Lise


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