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Le mystère du Jeudi saint

L’Eucharistie – Fra Angelico (1400 – 1455) Fresque – Monastère de San Marco - Florence
L’Eucharistie – Fra Angelico (1400 – 1455) Fresque – Monastère de San Marco – Florence

Avant-propos

Il y a deux mille ans, le jour du Jeudi Saint, le Christ a offert son enseignement majeur à l’humanité. Depuis, les chrétiens perpétuent cet enseignement à travers le rituel de la messe.
Durant son court passage sur terre, le Christ a récapitulé le passé, il a connu le présent, puis il a vécu le futur de l’humanité jusqu’à son point ultime, par sa mort et sa Résurrection. A travers ce scénario qu’il a dirigé et joué ce Jeudi, le Christ nous a appris à transcender les lois de l’incarnation et nous hisser vers Dieu. Ce jour sacré où le Christ s’isola du monde avec ses disciples, fut placé sous le signe de la sagesse.
Christ, Dieu le Fils qui s’est fait chair, est venu au centre de Sa création pour s’y donner totalement, afin que celle-ci puisse trouver un jour par elle-même son salut et qu’il puisse saisir en lui sa dignité en devenant conscient de lui-même, et en révélant sa nature spirituelle de bien.
Comment le Christ a-t-il permis cela ?
Le Jeudi saint, Il a transformé les rites anciens et nous a ainsi apporté la nouvelle Alliance entre Dieu et les hommes, afin que nos actes manifestent un bien qui profite au plus grand nombre, que cela soit lors du nouvel office religieux ou au quotidien dans la vie de chacun.
L’être humain devient ainsi créateur, un artiste de la vie.

Sommaire

Jeudi Saint, jour de la Pâque

Le lavement des pieds

L’Agneau pascal

Le rituel du Pain et du Vin

Les adieux

Le jardin de Gethsémani

Conclusion

Bibliographie

Jeudi Saint, jour de la Pâque

« Avant la fête de la Pâque, Jésus sut que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde-ci vers le Père ; comme il avait aimé les siens dans le monde, il les aima jusqu’à l’accomplissement.« 
(Jean, 13, 1)

Le Jeudi Saint a lieu le jour de la Pâque juive, qui signifie « passage ». Cette fête traditionnelle chez les Hébreux est célébrée en hommage à Moïse lorsque, par une grâce divine, il franchit la mer Rouge avec son peuple, alors qu’ils étaient poursuivis par les Égyptiens.
La scène a lieu dans le Cénacle, à l’endroit (d’après différentes sources) où Melchisédech remit l’Arche d’Alliance à Abraham. Le Christ a donc choisi ce jour du « passage » de l’Ancien Testament pour enseigner et apporter le « passage » du Nouveau Testament qui ramène vers le Père, afin que les écritures s’accomplissent. Au moment où le peuple fête la Pâque traditionnelle, il va en parallèle reprendre chaque étape de ce rite ancestral issu du Père pour le transformer en y apportant le principe du Fils. L’acte qu’il va accomplir, suivi de son sacrifice, permettra à la terre et aux êtres humains de se relever de la Chute, car son but ultime est de ramener l’Arbre de la Vie éternelle dans le cœur de chaque être humain. Il veut accomplir cet acte total d’amour et sceller ainsi, en ce jeudi Saint, la Nouvelle Alliance entre Dieu et les hommes au moyen d’un nouveau rituel sacré.

« Au moment du repas alors que le Diable avait déjà mis dans le cœur de Judas Iscariote l’intention de le trahir, Jésus savait que le Père avait tout remis entre ses mains et qu’il était sorti de Dieu pour retourner à Dieu.« 
(Jean, XIII, 2-3)

Ce passage précise que le mal est présent dans le Cénacle, à travers Judas l’Iscariote, qui a déjà décidé de vendre le Christ à ses ennemis contre quelques pièces d’argent. L’argent, souvent cité dans les évangiles, représente ici le support de tentation utilisé par le mal. Cela signifie qu’en nous, le mal (à travers Judas) est donc à côté du plus grand bien (le Christ) en potentiel, ou que le pire côtoie le meilleur, avant même qu’une impulsion ou une intention d’agir le bien jaillisse en nous. Nous retrouvons notre fonctionnement duel lié à l’incarnation, que le Christ va nous proposer de dépasser.

Le lavement des pieds

Jésus lavant les pieds de Pierre – Ford Madox Brown (1821 – 1893)
Jésus lavant les pieds de Pierre – Ford Madox Brown (1821 – 1893)

« Il se leva de table, déposa. ses vêtements pour se ceindre avec un linge. Ayant versé de l’eau dans un bassin, il se mit à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge. Arrivé à Simon Pierre, celui-ci lui dit :
« Seigneur, toi tu me laves les pieds ? »
Jésus lui répondit :
« Ce que moi je fais, toi tu ne le sais pas maintenant ; mais tu le comprendras par la suite. »
Pierre lui dit :
« Jamais, au grand jamais, tu ne me laveras les pieds ! »
Jésus lui répondit :
« Si je ne te lave pas, tu n’as point de part avec moi »
Alors Simon Pierre lui dit :
« Seigneur, pas mes pieds seulement, mais aussi les mains et la tête ! »
« Quand on sort du bain, lui dit Jésus, on n’a pas besoin de se laver, si ce n’est les pieds ; car on est entièrement purifié. Vous, vous êtes purs ; mais pas tous. »
En effet, Jésus savait qui le trahirait ; c’est pourquoi il dit « vous n’êtes pas tous purs. »
« 
(Jean XIII, 4 – 20)

Le Christ reprend une pratique courante chez les Esséniens, qui consiste à laver les pieds de ceux que l’on accueille. Cet acte résume à lui seul tout ce que le Christ a pu enseigner lors de son court passage sur terre : l’amour, manifesté par le service, le don de soi et l’humilité. L’hôte honore l’invité de sa visite en l’aidant à le rendre plus pur. C’est un acte fraternel par excellence. On peut imaginer l’atmosphère de recueillement qui règne en cet instant où un Dieu incarné, la plus haute entité spirituelle qui soit, le Créateur, s’abaisse jusqu’à laver les pieds de ses disciples. C’est le monde spirituel tout entier qui se met à leur service. Ces derniers sont extrêmement touchés par cet acte d’amour. En cet instant, ils se sentent étroitement unis, reliés au monde spirituel à travers cette ambiance d’amour absolu qui règne en ce lieu. Devenus plus purs, l’amour divin se déverse à travers eux. Ce lien sacré qui s’ancre fortement en eux est le point de départ qui motivera toute leur action future d’apostolat : l’intention de faire le Bien.
Sur le coup, les disciples ne comprennent pas toute la signification de cet acte, c’est pourquoi le Christ va l’expliquer. Pour Pierre, fidèle serviteur du Christ, cet acte est même insupportable : il ne se sent pas digne d’être servi par le Christ. Le Christ lui dit qu’il doit l’accepter s’il veut œuvrer à ses côtés. C’est alors que Pierre, zélé et enthousiaste, en demande encore plus de la part du Christ ! Comme s’il n’était pas assez pur pour agir à Son service.
Parmi les disciples se aussi trouve Judas, qui se fait laver les pieds par le Christ. Pour lui donner la chance de se racheter un jour, le Christ offre son amour à Judas, bien que ce dernier ne soit pas assez pur. Cela signifie que le mal peut toujours être rédempté. Cette scène montre le pardon et l’amour du Christ illimité, avant même que Judas ne le trahisse jusqu’à causer son supplice et sa mort physique. Judas voulait que le Christ utilise ses pouvoirs pour régner sur le monde et délivrer le peuple Juif de l’envahisseur Romain. Comme Barabbas, Judas ne croyait pouvoir sauver son peuple que par la force. Or le Christ ne lui parlait que de foi et d’amour pour ramener la paix et la liberté. Au moment où le Christ lui lave les pieds, Judas a déjà fait son choix de le livrer, en espérant que son arrestation lui permettra de s’exprimer et de convaincre Caïphe, le chef des religieux, afin que ces derniers s’allient avec lui contre Rome. Judas incarne ce mal de l’inquisition prêt à tout, jusqu’à détruire autrui pour servir un idéal.

En résumé, le plus grand bien impulsé par le monde spirituel se trouve déjà en présence des deux formes de mal : le faux bien qui idéalise le divin (à travers Pierre) puis se dénigre, et le mal qui veut détruire (à travers Judas). Dès qu’une impulsion de bien surgit dans le cœur de l’être humain, celui-ci est en proie à des tentations pour qu’elle soit déviée en mal. Ces forces d’opposition en soi existent pour que l’être humain apprenne à révéler le bien qui est en lui en devenant peu à peu conscient de lui-même.

Ensuite, le Christ démystifie son acte en l’expliquant :

« Quand il leur eut lavé les pieds, qu’il eut repris ses vêtements et se fut remis à table, il leur dit :
« Comprenez- vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez maître, ou encore : Seigneur, et vous dites bien ; car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi votre Seigneur et maître, il vous faut, vous aussi, vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez comme moi je vous ai fait. Amen, je vous le dis : le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’envoie »
« .
(Jean XIII, 12 –16)

Le Christ propose à ses disciples de l’imiter en précisant que dans l’acte d’aimer son prochain, les hommes sont tous égaux entre eux et dignes devant Dieu. Il abolit la hiérarchie, l’autorité, le pouvoir sur autrui. N’importe qui peut aimer autrui, quel que soit son rang, son statut extérieur. L’acte de laver les pieds met en pratique l’unique et dernier commandement du Christ, qu’il n’a cessé d’enseigner sa vie durant et qu’il reprendra à la fin dans ses adieux : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 15,12).

« Si vous savez cela, bienheureux serez-vous, si vous le mettez en pratique. Je ne parle pas de vous tous ; je connais, moi, ceux que j’ai choisis; mais il fallait que s’accomplisse ce qui est écrit : celui qui mange mon pain a levé contre moi son talon. Je vous le dis dès maintenant, avant que cela n’arrive, afin que, lorsque cela arrivera, vous ayez confiance en ce que moi je suis. »
(Jean XIII, 17 – 19)

La connaissance que dans l’amour, il n’y a ni maître ni serviteur, si elle est manifestée, fait de nous des bienheureux. Le monde divin peut se manifester à travers l’être humain, ainsi qu’à travers ceux que le Christ a choisi pour transmettre son enseignement. L’impulsion de bien doit donc être connue, pensée, et clairement exprimée.
Puis, il commence à annoncer sa propre destinée qui doit s’accomplir selon les écritures, en désignant de celui qui va le trahir : c’est celui à qui il tendra en premier du pain pendant la soirée. Le Pain représente le corps du Christ : Judas causera la mort physique du Christ. Le Christ met le mal en lumière, il nous montre qu’il est possible de discerner le plus grand mal, celui qui détruit, dès que surgit l’impulsion d’amour divin. Puis, il prévient les disciples de ce qui l’attend pour que ceux-ci le vérifient par eux-mêmes et ancrent ce vécu dans leur foi en Christ.

« Amen, je vous le dis : Qui reçoit celui que j’envoie me reçoit, et qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. »
(Jean XIII, 20)

Le Christ parle ici de la mission d’apostolat de ses disciples et de tous ceux qui témoigneront de lui à l’avenir en aimant leur prochain. Celui qui accueille la Parole du Christ, se relie au Christ et à son Père : il accueille le monde divin, il saisit l’impulsion divine en lui : ce que son « Moi » aime le plus et veut agir sur terre.

Dans la messe, le lavement des pieds, c’est à dire le lien au monde divin est représenté par la lecture des Évangiles, qui contient un enseignement empli de l’amour du Christ, et qui nous touche intérieurement.

L’Agneau Pascal

La Cène – Domenico Ghirlandaio (1449 – 1494) Réfectoire de San Marco - Florence
La Cène – Domenico Ghirlandaio (1449 – 1494) Réfectoire de San Marco – Florence

Lorsque l’heure fut venue, il se mit à table et les apôtres avec lui. Et il leur dit:
« J’ai souhaité, ô combien, de manger cette Pâque avec vous, avant ce que j’ai à souffrir, car, je, vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu’à ce qu’elle trouve son accomplissement dans le royaume de Dieu. »

(Luc, XXII, 14-16)

Une nouvelle fois, le Christ reprend un rite ancien, celui de l’agneau pascal, avant de le transformer. L’agneau symbolise l’innocence. D’ailleurs, Abel, le fils berger d’Adam et Eve, sacrifiait le premier né de son troupeau pour faire ses offrandes. Ensuite, Jean le Baptiste, lors du Baptême dans le Jourdain nomma prophétiquement le Christ ainsi :
« Voici l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde ». (Jean 1,29)

Dans ce verset, le Christ annonce à son tour la souffrance qu’il va vivre à travers son sacrifice à venir. Grâce à cet acte, il abolit définitivement les sacrifices d’animaux. Il montre l’image claire de son but et de son engagement : son propre sacrifice, par la crucifixion, pour le salut de l’humanité. Il va sacraliser la mort, par sa propre Résurrection. C’est ce que le Christ définit comme l’accomplissement de la Pâque dans le royaume de Dieu. Les disciples eux-mêmes, une fois qu’ils seront apôtres choisiront de vivre les sacrifices jusqu’aux persécutions par amour de leur but : répandre l’enseignement du Christ sur la Terre.

Dans la messe, le repas Pascal est représenté par l’offertoire, où le prêtre, derrière l’autel, montre à l’assemblée, une grande hostie qui symbolise l’Agneau qui va être ensuite sacrifié.

Le rituel du Pain et du Vin

La Cène -(1494 – 1498) - Léonard de Vinci Fresque – Réfectoire de Santa Maria delle Grazie - Milan
La Cène -(1494 – 1498) – Léonard de Vinci Fresque
Réfectoire de Santa Maria delle Grazie – Milan

« Puis il prit une coupe, rendit grâce et dit :
« Prenez ceci, partagez-le entre vous. Car je vous le dis : désormais je ne boirai plus du fruit de la vigne, en attendant que vienne le royaume de Dieu. »
Il prit alors le pain, rendit grâces, le rompit et le donna en disant .
« Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela afin de vous souvenir de moi ! » »
Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant :
« Cette coupe est l’alliance nouvelle fondée en mon sang, qui est répandu pour vous. »
« 
(Luc XXII, 17-20)

Cette fois encore, le Christ part de la tradition afin d’apporter quelque chose de nouveau, qui concerne le futur. Il reprend le rituel du Pain et du Vin, dont l’origine remonte à Noé, puis qui fut enseigné par Melchisédech à Abraham, et transmis de génération en génération par les prophètes hébreux jusqu’à la venue du Christ sur terre. La coupe qui contient le vin est celle qui fut confiée à Noé, lors du déluge de l’Atlantide. Cette coupe contenait un sarment de vigne et un grain de froment. La coupe réapparut avec Melchisédech. Elle resurgit ensuite lors de la Cène : entre les mains du Christ, lors du rituel du Pain et du Vin qu’il partage avec ses disciples. Il le dit lui-même :

« Cette coupe est l’alliance nouvelle fondée en mon sang, qui est répandu pour vous. » (Luc, 22,20).

L’ancienne Alliance transmise par Melchisédech à Abraham et remplacée par la Nouvelle Alliance, transmise par le Christ à ses disciples.
Nous sommes à l’instant le plus solennel de la soirée, le plus sacré. Le blé et la vigne deviennent le pain et le vin grâce à l’alchimie du soleil. Or le Christ est lui-même un être divin cosmique, un Dieu solaire. C’est pourquoi, il solarise, spiritualise et transforme tout ce qu’il touche. Nous pouvons alors mieux comprendre les guérisons miraculeuses.
Le Christ se substitue lui-même au Pain et au Vin, car sur la croix, il va faire don de sa chair et de son sang en les spiritualisant. C’est pourquoi son corps devient le Pain, et son sang, le Vin. Spiritualiser le corps et le sang signifie apporter aux êtres humains, selon le modèle du Christ, l’espérance à venir de leur propre résurrection.
Depuis, toute nourriture, tout ce qui vit sur terre, tout être humain contient l’Esprit du Soleil. Cela a été rendu possible parce que le Sang du Christ s’est déversé dans la terre, sur le Mont Golgotha, lorsque Longinus planta sa lance dans son flanc. Depuis, chaque être humain qui s’incarne retrouve cette étincelle christique de vie éternelle en lui, qui se ranime dans sa foi. Ainsi, grâce à son sang pur versé pour nous, le Christ est présent en chacun de nous, nous pouvons désormais nous relier librement à Dieu.
Joseph d’Arimathie recueillera une partie du sang du Christ au pied de la croix dans cette coupe qui deviendra alors le Saint Graal. Le Graal apporté en Europe par les apôtres nous indique quelle civilisation sera responsable de l’enseignement christique.
Le Graal a réapparu dans l’histoire, en France au Moyen-Âge, avec les contes narrant les histoires de Perceval le Gallois. Perceval a réellement existé. Il a expérimenté dans son cheminement le sentier de la connaissance qui aboutit à la compassion pour autrui. Le Graal représente symboliquement le cœur, creuset pour la transformation de soi et source d’amour débordante qui se donne aux autres.
Ainsi, le rituel du Pain et du Vin repose sur le partage avec autrui et sur la transformation du mal en bien, qui correspond au sacrifice, au fait de rendre sacré, de sacraliser notre existence, pour rendre nos actes les plus purs possible.
Le don du sang et du corps du Christ est l’archétype de la relation au monde par le don de soi. Nous apprenons ainsi à vivre en bonne relation, en harmonie avec les autres, si nous parvenons à sacrifier en nous des désirs ou des buts égoïstes, c’est à dire, le mal ou Judas en nous. C’est pourquoi dans cette étape de la Cène, Judas est encore présent.

« Alors qu’il parlait ainsi, Jésus fut profondément remué par l’Esprit et il en témoigna par ces paroles:
Amen je vous le dis – un de vous va me livrer. »
Les disciples se regardèrent les uns les autres, déconcertés, ne sachant de qui il parlait. Il y avait, à table, l’un des disciples, celui que Jésus aimait et qui était tout contre le sein de Jésus, Simon Pierre lui fait donc signe de la tête pour qu’il lui demande de qui il parlait. Celui-ci, penché sur la poitrine de Jésus, lui demande donc :
« Seigneur, qui est-ce ? »
Jésus répond :
« C’est celui à qui moi je donnerai la bouchée que je vais tremper. »
Ayant donc trempé le morceau, il le prend et le donne à Judas, le fils de Simon Iscariote. Après que celui-ci eut pris le morceau, Satan entra en lui. Jésus lui dit donc :
« Ce que tu veux faire, fais-le vite ! »
Mais personne de ceux qui étaient à table ne comprit ce qu’il lui avait dit. Quelques-uns uns pensaient, en effet, comme Judas détenait la bourse, que Jésus lui demandait d’aller acheter le nécessaire pour la fête, ou de donner quelque chose aux mendiants. Dès qu’il eut pris le morceau, Judas sortit. Il faisait nuit. »

(Jean, XIII, 21-30)

Très ému, Il annonce que l’un des disciples va le livrer. Ce moment est représenté dans le tableau de la Cène, de Léonard de Vinci. Cette révélation provoque une certaine agitation dans le lieu. Certains redoutent que ce soit eux. Le Christ va seulement désigner à Jean « celui que Jésus aimait et qui était tout contre le sein de Jésus » (Jean 13, 23-25) (voir le tableau ci-dessus de la Cène par Domenico Ghirlandaio), celui qui va le trahir, Judas, à qui il va tendre un morceau de nourriture. A partir de là, Judas sort du Cénacle. Il fait nuit. La nuit signifie aussi que la transformation du mal en bien se fait dans notre monde intérieur, en soi. Dans la Cène, c’est à ce moment que se produit dans le groupe la transformation ultime du mal en bien : par le départ de Judas et l’arrivée de Jean. Le mal est extrait momentanément, il va être temps d’agir le bien dans le monde.

Dans la messe, le rituel du Pain et du Vin est représenté par l’Eucharistie. C’est la transsubstantiation, pendant laquelle le prêtre consomme le Pain et le Vin.

Les adieux

Visage du Christ – Détail de la Cène – Léonard de Vinci (1495 – 1497)
Visage du Christ – Détail de la Cène
Léonard de Vinci (1495 – 1497)

« Je vous donne un commandement nouveau -. Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. C’est cela que tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
(Jean, XIII, 34-35)

Judas est sorti, et le Christ commence à faire ses adieux aux disciples. Il termine la Cène en remplaçant les chants et les histoires racontées dans la tradition juive de la Pâque, par ses adieux et ses prières. Il donne son ultime enseignement avant d’accomplir Son acte. Le commandement d’amour du Christ « Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés » (Jean 13,23) est l’accomplissement de la loi antique de Moïse : le passé des lois du Père est révolu. C’est pourquoi le Christ a dit : « Je ne suis pas venu pour abolir la loi mais pour l’accomplir » (Matthieu 5, 17-19). L’humanité avait besoin des lois pour discerner le bien du mal et apprendre à résister au mal, grâce à la pensée. Le Christ apporte maintenant la loi du cœur qui remplace toutes les autres. Le cœur permet d’apprécier la gravité du mal, donc de choisir et d’agir en connaissance de cause et par amour. L’amour amène du poids dans la pensée, c’est le poids de la conscience. Celle-ci s’acquiert progressivement dans le temps avec la maturité. En chemin vers son salut, la destinée humaine se place désormais sous le signe de l’amour inconditionnel, incarné et vécu par le Fils, en le Christ.

« Simon Pierre lui dit :
« Seigneur, où vas-tu ? »
Jésus lui répondit :
« Là où je vais, tu ne peux me suivre à présent ; mais tu me suivras un jour. »
Pierre lui dit :
« Pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? je vais engager ma vie pour toi. »
Jésus répond:
«Tu vas engager ta vie pour moi ? Amen, je te le dis : le coq ne chantera pas avant que tu m’aies renié trois fois. »
« 
(Jean, XIII, 36-38)

Pierre, le disciple dévoué veut suivre le Christ là où il va. Il dit qu’il est prêt à engager sa vie pour lui. Pierre représente l’individu qui s’emballe, par amour, sans connaître la portée de son engagement, ce qu’il signifie vraiment. Combien de fois dans la vie avons nous eu de grandes résolutions que nous n’avons pas su tenir ! Après l’engagement peut suivre la lâcheté. Le Christ connaît les faiblesses de la nature humaine, et le dessein de Pierre. Malgré nos défauts, nous pouvons néanmoins agir pour de grandes causes : ainsi Pierre qui bâtit l’Église du Christ aux côtés de Paul, fondateur du christianisme.

« Si vous m’aimez, vous vous ferez les gardiens de mes intentions, et moi je prierai le Père, et il vous donnera un autre défenseur avec vous pour l’éternité, l’Esprit de la Vérité que le monde ne peut pas saisir, parce qui ne le perçoit pas et ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il sera en vous. »
(Jean XIV, 15-18)

Le Christ annonce la venue de l’Esprit-Saint qui se produira à la Pentecôte, pour ceux qui l’aimeront et garderont so, intention initiale de manifester le bien sur terre. Ainsi, tous ses disciples, c’est à dire ceux qui continueront de l’adorer et de le servir dans les temps à venir pourront saisir en eux l’Esprit de Vérité, l’Esprit du Christ.

« Je ne vous laisserai pas orphelins; je viens vers vous. Sous peu, le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, car moi je vis et vous aussi vous vivrez. Ce jour-là, vous connaîtrez par vous-mêmes que moi je suis en mon Père, et vous en moi et moi en vous. Celui qui porte en lui mes intentions et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai et me manifesterai clairement à lui. »
(Jean XIV, 19-21)

Le Christ précise qu’il reste proche de ses amis et que seuls ceux qui continueront à l’aimer et à le servir en manifestant ses impulsions de bien, pourront le voir : car le Christ ne sera plus visible dans le monde de la matière. Seul l’amour pur et désintéressé, inconditionnel permet de voir dans le monde divin.

« Voici l’intention qui est proprement la mienne : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. Nui n’a un amour plus grand que celui qui engage sa vie pour ses amis. »
(Jean XV, 12-13)

Il reprend son commandement d’amour en rappelant son impulsion déjà révélée lors du lavement des pieds tout en précisant la véritable nature de l’engagement des disciples : qu’ils imitent le Christ dans son amour sacrificiel. C’est aussi une réponse à Pierre qui parlait d’engagement à la légère : effectivement, celui qui engage totalement sa vie pour un ami dépasse sa lâcheté et manifeste le plus grand amour qui soit.

« Si le monde vous a en aversion, sachez qu’il a eu de l’aversion pour moi avant d’en avoir pour vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais vous n’êtes pas du monde, car moi je vous ai choisis et distingués du monde ; et c’est pour cela que le monde vous a en aversion. »
(Jean XV, 18-19)

Le Christ parle du prince de ce monde, nommé Satan chez les chrétiens, qui régit les forces de mal destructrices, parce que c’est dans le monde qu’on le rencontre : c’est le domaine où il a le plus d’emprise, dans ce monde de la matière auquel nous nous identifions, tant que le lien au monde divin nous reste abstrait. Il veut nous faire croire qu’il n’existe que la matière, il est donc le grand ennemi du Christ. Il explique ici que ses disciples, en voulant répandre son l’impulsion d’amour le monde, seront confrontés à l’ennemi. Il vaut mieux le savoir avant pour savoir comment l’affronter. D’ailleurs la peur qu’il suscite sera plus tard à l’origine du reniement de Pierre, qui tout à coup va douter. Le processus est le même lorsque nous passons à l’action et que nous sommes en proie à des doutes… parfois au point de tout arrêter.

« Mais quand il sera venu, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera dans la vérité entière, car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et vous annoncera ce qui est à venir. C’est par lui que se manifestera mon être, car c’est de moi qu’il prendra ce qu’il vous fera connaître. »
(Jean XVI, 14-15)

Seuls sans le Christ dans le monde, les disciples seront néanmoins guidé par Lui grâce à l’Esprit-Saint. Celui-ci se manifestera intérieurement à celui qui sera en quête de vérité, pour guider ses pas, son action.
Il se manifestera aussi dans un groupe à travers la substance de fraternité et d’amour qui s’en dégagera, grâce aux sacrifices, aux renoncements et à la transformation du mal en soi dans le but de mieux aimer autrui. Le Christ n’a-t-il pas dit qu’il serait présent avec ceux qui se réuniront en son nom ?
La présence en Esprit du Christ s’adresse particulièrement à ceux qui agiront en groupe, grâce à la force de la fraternité, à l’image de la Cène.
Le Christ et ses disciples ont tracé la voie du futur ; tous ceux qui empruntent ce sillage en sont les pionniers. Dans la scène de la Pentecôte qui suivra cinquante jours après la Résurrection, les disciples seront une fois de plus en groupe, avec Marie à la place du Christ, puisque lui-même sera présent en tant qu’Esprit-Saint. Les disciples recevront alors les dons de l’Esprit pour leur permettre de mener à bien leur action dans le sens de l’unique commandement du Christ.

« Père, l’heure est venue. Mets en lumière l’être de ton fils, afin que le Fils mette en lumière ton être, selon le pouvoir que tu lui as conféré sur toute chair, pour qu’il communique le vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. »
(Jean XVII, 1-2)

Ici, prophétiquement, le Christ annonce sa Résurrection dans son corps de gloire, qui sera aussi, plus tard, à la fin des temps l’aboutissement de l’évolution humaine. L’heure est venue pour lui de manifester son acte d’amour sacrificiel, afin de permettre à l’humanité de se relever de la Chute et d’accomplir sa destinée.

Le jardin de Gethsémani

Jésus au mont des oliviers - Eglise St Nicolas des Champs - Paris 3ème
Jésus au mont des oliviers – Église St Nicolas des Champs – Paris 3ème

Entre-temps Jésus arriva avec eux en un lieu appelé Gethsémani, et il dit aux disciples :
« Asseyez-vous ici, pendant que je vais là-bas pour prier.»
Alors qu’il emmenait avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il fut saisi par une inquiétude profonde. Et il leur dit :
« Mon âme est aux prises avec la mort ; restez ici et veillez avec moi. »
Ayant fait quelques pas, il tomba sur son visage en priant et en disant
-. « Mon Père, si c’est possible, que cette coupe s’éloigne de moi mais non pas comme moi je veux, mais comme toi tu veux. »
Et il revient vers les disciples et les trouve endormis et il dit à Pierre :
« Ainsi donc vous n’avez pas été capables de veiller une seule heure avec moi ? Veillez et priez, afin de ne pas être tentés. Car l’esprit est plein de zèle, mais la chair est faible. »
Il s’éloigna de nouveau et pour la deuxième; fois, il pria, disant :
« Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne sans que je la boive, que ta volonté advienne. »
En revenant, il les trouva encore endormis, car leurs yeux étaient alourdis. Les ayant à nouveau quittés, il s’éloigna et pria pour la troisième fois en reprenant les mêmes mots.

(Matthieu, XXVI, 36-44)

Avant les adieux, Judas est sorti pour retourner dans le monde, comme pour nous rappeler que le mal est présent dans le monde matériel. Dans la scène énigmatique du Jardin de Gethsémani, le Christ lutte contre la mort physique. Il est complètement seul face à la mort. Il ne veut pas que la mort arrive maintenant elle doit se arriver au mont Golgotha. Dans son Évangile, Luc précise que le Christ reçoit l’aide d’un Ange : « un ange lui apparut alors, lui apportant du ciel un réconfort » (Luc 22,43).

L'agonie dans le jardin de Gesthémani, El Greco
L’agonie dans le jardin de Gesthémani, El Greco

Le Christ retrouve des forces de vie qui lui permettront de lutter contre la mort. Les disciples ne peuvent pas l’accompagner car ils sont endormis. Le Christ dit qu’ils sont aux prises avec la chair. En fait, les disciples n’arrivent pas à maintenir un niveau d’éveil suffisant pour accompagner le Christ en esprit, avec leur force d’amour. Le Christ parvient néanmoins à manifester son but en allant dans le monde. A partir de maintenant il sera seul jusqu’à sa fin dans le monde des hommes.
Aidé par l’ange, il lutte contre la mort, pour pouvoir être ensuite saisi et arrêté par Caïphe, selon son dessein.

Conclusion

Avant la venue du Christ sur terre, les civilisations évoluaient en étant guidées par le monde divin, par l’intermédiaire des prêtres-rois, des mages etc. Ce temps est révolu. Car depuis la venue du Christ, nous pouvons désormais établir par nous-mêmes ce lien, directement, sans intermédiaire. C’est le sens de la sainte Cène et de la Nouvelle Alliance entre Dieu et les hommes offerte par le Christ.
Depuis, l’humanité a son avenir entre ses mains. Elle est seule responsable de son évolution. Pour nous y aider, nous avons la force de vie afin de transcender le mal qui n’a jamais autant asservi l’être humain dans le matérialisme, en l’enchaînant dans un faux futur, un futur illusoire et destructeur : celui de la technologie, du monde virtuel, de l’argent facile, et du mensonge comme contre culture.
Nous avons ce qu’il faut pour amener dans le monde le vrai futur, en faisant jaillir le renouveau, ces forces de vie qui proviennent des cœurs humains, et qui font avancer dorénavant les civilisations.
Comment y parvenir ?
Chaque être humain porte dans son cœur, quelque chose d’unique et de bien spécifique à révéler dans le monde. Le défi est d’y apporter ces actions nouvelles qui proviennent de l’inconnu, de notre futur… selon le modèle laissé par le Christ. En « faisant cela en mémoire de lui », nous nous relevons de la Chute.
Ce que le Christ a fait, il y a 2000 ans, nous y participons à notre tour. Dans l’action au service du Bien, nous communions avec lui, nous nous unissons à lui. Il a apporté ce potentiel en chaque être humain, et c’est le rôle de chaque être humain de l’utiliser, de le manifester.
A chaque moment de notre existence, nous pouvons donc jouer au jeu de la vie, et le Christ peut être présent avec nous à chaque instant de notre vie. Si nous nous relions à lui en pensant en pratiquant son enseignement, dont la source est l’amour du prochain.
Alors, l’étape suivante de la Cène pourra se vivre dans le monde divin : Jean, dans son Apocalypse nous a révélé qu’un jour nous partagerons le repas céleste avec le Christ : ce seront les Noces de l’Agneau : « Heureux ceux qui sont invités au festin des noces de l’Agneau ! » (Apo, 19,9)

Sacrement du la Cène - Salvador Dali - 1955
Sacrement du la Cène – Salvador Dali – 1955

Le Christ nous a dit qu’il resterait avec nous jusqu’à la fin des temps. Si à notre tour nous choisissons librement et par amour de manifester ce que lui-même a accompli, alors unis à lui Esprit, nous devenons Sa main : l’homme qui fut créé à l’image de Dieu, devient lui-même un Dieu, en collaborant avec le Fils et en manifestant dans le monde sa propre nature divine.

Puisse cette espérance se manifester au cours de ce nouveau millénaire…

© Rosa Lise

Bibliographie

Les Quatre Évangiles – traduit par Pierre Lienhard – Editions Iona

Les trois années de Christ Jésus – Emil Bock – Editions Iona


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