Les trois actions de grâce de Marie-Madeleine

« Qui s’est abîmé au tréfonds de l’humilité divine
Est le plus haut éclat de toutes les étincelles célestes »

Angelus Silesius (1624 – 1677)

Sommaire

Préambule
I – Qu’est-ce que l’action de grâce

II – Qu’est-ce que l’onction ?

III – L’onction pour transcender les lois de l’incarnation
L’image archétypale de l’onction
Le défi des lois de l’incarnation

1) La première onction chez Simon le Pharisien
La conséquence de la loi de la croyance en la mort : l’ignorance
La déviance : l’orgueil
« La pécheresse repentie » lors du repas chez Simon
Le symbole de Marie-Madeleine : l’or
La sacralisation par le repentir, et l’amour de la connaissance
Le par-don grâce à l’humilité
La 1ère loi transcendée révèle la foi
Le modèle vécu par le Christ et l’image inversée

2) La deuxième onction à Béthanie
La conséquence de la loi de la souffrance : le sentiment d’abandon
La déviance : l’attachement
« L’onction à Béthanie » chez Lazare
Le symbole de Marie-Madeleine : la couleur rouge
La sacralisation par l’amour sacrificiel
Le par-don grâce à la compassion
La 2ème loi transcendée révèle l’amour divin
Le modèle vécu par le Christ et l’image inversée

3) La troisième onction chez Simon le lépreux à Béthanie
La conséquence de la loi du travail : l’oisiveté
La déviance : la soumission et le pouvoir
« L’onction à Béthanie » chez Simon le lépreux
Le symbole de Marie-Madeleine : le parfum
La sacralisation par le travail intérieur et la créativité
Le par-don grâce au service
La 3ème loi transcendée révèle l’espérance
Le modèle vécu par le Christ et l’image inversée

IV – L’action de grâce pour sacraliser son quotidien
Être pour, c’est se soumettre. Être contre, c’est se rebeller
L’onction ou action de grâce, pour sortir de la dualité

Préambule

L’expression « action de grâce » peut sembler bien mystérieuse, voire même abstraite. Et si je vous dis que « action de grâce » est l’étymologie du mot « Eucharistie« , cela pourra même paraître pour le coup inatteignable, voire un peu trop catholique… Et pourtant, si nous en approfondissons le sens, nous sortons très vite du cadre du sacrement religieux pour nous apercevoir que l’action de grâce, manifestée notamment par Marie-Madeleine lors de ses trois onctions, mettent très simplement le sacré à la portée de chaque être humain, pour son quotidien.
L’action de grâce et la notion de sacré dans un sens général seront définis en première partie.
La notion d’onction, en tant qu’action de grâce humaine, sera présentée en deuxième partie.
Marie-Madeleine a incarné l’acte hautement symbolique de la pratique de l’onction, tant à travers sa biographie, qu’à travers son modèle. Ceci sera présenté dans la troisième partie. Nous découvrirons que l’onction, pratiquée par l’être humain, à travers le modèle de Marie-Madeleine, donne le pouvoir potentiel de transcender les conditions d’incarnation de l’humanité que sont : la mort, la souffrance et le travail. C’est le véritable sens de l’alchimie qui consiste symboliquement à transformer le plomb (qui a « plombé » l’humanité dans la matière) en or (l’or de la gloire), c’est à dire à élever la condition de l’être humain.
Ensuite, en quatrième et dernière partie, nous aborderons comment transposer ce modèle de l’onction dans notre quotidien.
A noter qu’il existe tout un débat chez les exégètes sur l’identité réelle de Marie-Madeleine : est-ce bien elle qui a réalisé les trois onctions ? En tous cas, les vitraux de Marie-Madeleine à son sanctuaire de la Sainte Baume illustrent bien ces trois onctions. Quoiqu’il en soit, c’est le symbole et son message qui nous importent ici.
Le but de la présente étude est donc de montrer en quoi la pratique de l’action de grâce, à l’image de Marie-Madeleine, contribue à amener l’individu sur la voie du salut, vers un futur rayonnant.
Bien sûr, la vie du Christ sur terre comme celle de Marie-Madeleine nous indiquent que le chemin est loin d’être facile. C’est aussi ce qui en fait toute sa grandeur…

L’alchimie spirituelle.
Alors seulement le plomb se change en or et le hasard s’écroule,
Quand je suis avec Dieu métamorphosé par Dieu en Dieu.

Angelus Silesius

I – Qu’est-ce que l’action de grâce ?

Le mot grâce vient du latin « gratus » qui signifie accueilli avec faveur, ou : reconnaissant. La grâce signifie la faveur, le remerciement, la grâce de Dieu. C’est un don surnaturel que Dieu accorde en vue du salut.
A travers ce que j’ai pu comprendre, je définirais l’action de grâce ainsi : l’action de grâce est un acte créateur, qui procède du divin. Elle résulte d’un sacrifice conscient qui, par amour, amène au don de soi, c’est à dire à offrir ce qu’il y a de meilleur de soi, dans un but qui nous dépasse. Pratiquer une action de grâce fait ressentir ce qu’est le sacré, et ce qui est sacré : le respect de l’autre et de tout ce qui existe, dans sa dignité, sa dimension spirituelle.
« Sacré » a pour racine « sak ». Sacrer signifie : soumettre à la cérémonie du sacre. Le sacre est une cérémonie religieuse pour le couronnement d’un souverain.
Dans le dictionnaire, le mot sacré est défini ainsi : « à qui l’on doit le respect absolu, qui s’impose par sa haute valeur; caractère de ce qui transcende l’humain« .
Ressentir ce qui est sacré, c’est percevoir le divin à l’œuvre, le Saint-Esprit dans ce qui nous entoure, ou dans notre vie intérieure, et qui font que nous sommes touchés par ce qui est pur : les qualités morales, telles que la vérité, la beauté, la bonté, etc. Le sacré, c’est le divin manifesté sur terre qui éveille nous émerveille.
En résumé, l’action de grâce est un acte sacré qui consiste à accomplir la destinée prévue par le plan divin pour sacraliser sa vie.

II – Qu’est-ce que l’onction ?

Onction vient du mot français « oindre« , du latin unguere, unctus : oindre, parfumer.
Oindre consiste à appliquer une huile sainte sur une personne pour la consacrer à Dieu, ou lui conférer la grâce de lutter contre le mal ou contre la maladie. Bien entendu, l’onction employée dans les rites est toujours accomplie avec une huile sainte, consacrée à une fin déterminée.
Les rois d’Israël et les grands prêtres recevaient l’onction d’huile comme signe de leur nouvelle fonction.
C’est pourquoi les rois portaient le titre d’oint :

En hébreu Machia, transcrit Messie en français, ou en grec Christos, transcrit Christ. Le verbe incarné est annoncé comme l’oint d’une huile d’allégresse. Le titre de Messie ou Christ a été transféré au roi sauveur dont les Juifs attendent la venue à la fin des temps.
(Dictionnaire des symboles – Eds Robert Laffont)

« Lors de la cérémonie antique d’onction, on versait de l’huile sainte sur la tête du nouveau roi – ou du nouveau grand prêtre. Ce personnage était désormais oint du Seigneur. Au sens figuré, le qualificatif oint désigne donc l’homme que Dieu a choisi pour une mission de salut. »
Nouveau Testament – glossaire – TOB

En bref, l’onction est une action de grâce réalisée par un être humain. Pratiquée sur la tête, l’onction est en quelque sorte un couronnement spirituel.
Cela consiste à révéler ce qui sacré, l’état de sainteté. D’ailleurs, dans l’art sacré traditionnel, la sainteté est représentée par une auréole dorée.
Nous verrons plus loin dans le détail de l’onction, en quoi elle est une sorte couronnement, telle l’accomplissement d’un potentiel latent. L’huile sainte versée sur la tête symbolise donc l’auréole, la couronne.
L’onction la plus connue est celle de Jean le Baptiste, lors du baptême dans le Jourdain : d’où le nom d’oint, christos, Christ pour le Verbe qui s’est fait chair. La dernière onction de Marie-Madeleine représente l’extrême-onction, annonciatrice de la mort du Christ et de Sa résurrection.

Par extension, dans la Bible, nous pouvons identifier de nombreuses actions de grâce manifestées par des êtres humains. Prenons l’exemple de Marie qui a accepté de se mettre à la disposition du monde divin pour enfanter l’enfant Jésus. Symboliquement, il s’agit d’une onction, et bien que le geste d’oindre ne soit pas dans la scène, nous y voyons néanmoins, dans les œuvres d’art, Marie ainsi que l’enfant Jésus, auréolés de sainteté, et choisis par Dieu pour cette œuvre. Par conséquent, il me semble que la représentation d’une auréole autour de la tête d’un individu représente la lumière spirituelle qui se dégage de l’être. Elle nous signale aussi qu’il a accepté de renoncer à son bonheur personnel pour un but plus vaste, qui est de servir le monde divin, pour le salut de l’humanité.

L’onction caractérise particulièrement Marie-Madeleine. D’ailleurs, l’un de ses attributs est le flacon de parfum, qui lui a servi par trois fois.
Dans chaque scène, nous pouvons observer qu’il existe une progression ascendante. La première onction est réalisée sur les pieds du Christ, la dernière sur la tête. En méditant sur ces onctions, il m’est apparu qu’à l’évidence, chacune d’elle permettait de transcender l’une des conditions de l’incarnation.
Nous allons donc maintenant approfondir l’étude de chaque onction en tant que moyen alchimique pour transcender respectivement : la mort, la souffrance et le travail.

II – L’onction pour transcender les lois de l’incarnation

La tactique guerrière du chrétien :
Mon enfant, prends l’habitude de guerroyer à la manière du Christ, et par ta conduite chevaleresque tu vaincras ton ennemi. Comment cela ? C’est avec amour qu’il faut lutter, avec douceur et patience esquiver ses coups, et de bon cœur lui rester bienveillant.

Angelus Silesius

L’image archétypale de l’onction

La scène de l’onction comporte des constantes, que ce soit dans la première, la deuxième ou la troisième onction. Ensuite, s’ajoutent des particularités que nous aborderons en détaillant chaque onction. Prenons comme base l’image du repas chez Simon le Pharisien. Il s’agit de la première onction de Marie-Madeleine sur les pieds de Jésus.

Le repas chez Simon, Pierre Hubert Subleyras, 1737, musée du Louvre
Le repas chez Simon, Pierre Hubert Subleyras, 1737, musée du Louvre

L’ambiance est à l’agitation. Seuls Marie-Madeleine et le Christ sont calmes et en paix.
L’onction, ou action de grâce. Marie-Madeleine ne dit rien, elle est impassible, à la fois recueillie et totalement présente dans son acte. Elle agit le bien : son onction. Marie-Madeleine est humble, agenouillée, en profond respect.
« L’onction est un rite religieux qui signifie : douceur pieuse. L’onction se caractérise par une douceur particulière s’exprimant dans les gestes et la manière de parler. » Dictionnaire des symboles, Eds Robert Laffont.
Nous pouvons d’ailleurs le constater en contemplant Marie-Madeleine dans son acte tout emprunt de délicatesse et de douceur.
Le parfum versé, symbole du don de soi. A travers le symbole du parfum coûteux versé, elle offre le meilleur d’elle-même. Elle incarne le don de soi.
Marie-Madeleine avec le Christ en face d’elle, symbolise l’union en Esprit d’une individualité avec l’être spirituel le plus élevé qui soit. Le tableau du noli me tangere le dimanche matin de la résurrection représente aussi ces retrouvailles de manière encore plus poignante car Marie-Madeleine retrouve son Bien-Aimé au-delà la mort.
• Une opposition rebelle amène un conflit. Une personne, voire un groupe de personnes, s’oppose à Marie-Madeleine. Sa conception du bien est erronée. Marie-Madeleine subit une réprobation pour son acte.
Le jugement négatif de l’opposant. L’opposant rejette Marie-Madeleine, ce qu’elle est et ce qu’elle fait, pour la montrer du doigt, ce qui traduit un comportement irresponsable, puisque pour lui, le mal c’est chez l’autre.
Le Christ s’interpose en désignant où est le vrai bien, derrière l’apparence (la mauvaise réputation de Marie-Madeleine). Sa main est au centre, elle sépare Marie-Madeleine du doigt accusateur. La main du Christ est au-dessus de la tête de Marie-Madeleine, comme pour la protéger, et même la bénir.
Le Christ montre le potentiel de transformation de l’être humain. Entre le bien à l’état pur (le Christ) et le mal (l’opposant qui juge et condamne), le Christ montre la capacité humaine à s’améliorer. Il voit ce potentiel de bien en Marie-Madeleine, capable de se dépasser. Le Christ voit avant tout le bien en l’être humain, quel qu’il soit et surtout sa capacité à révéler sa dignité d’être humain, c’est à dire ce qu’il y a de divin. Il aime ceux qui ont péché (étymologie de pêcher : rater sa cible), car les pécheurs aspirent à s’améliorer pour donner le meilleur d’eux-mêmes et atteindre la cible du bien.

Le défi des lois de l’incarnation

Voir ainsi le péché nous aide à nous extraire de cette conception judéo-chrétienne que nous pouvions en avoir, qui entretient la culpabilité dans notre inconscient et dans bon nombre de nos actes. Qui n’a pas interprété la Bible en pensant que Dieu nous avait puni parce que Adam et Eve avaient croqué la pomme ? Depuis ce temps, l’humanité serait privée du Paradis, c’est à dire de l’immortalité, du plaisir et de l’oisiveté ? et elle serait condamnée à la mort physique, à la souffrance et au travail sur terre ?
La bonne nouvelle, c’est que la Chute dans l’incarnation a été prévue dans le plan divin pour que l’être humain expérimente l’apprentissage de la conquête de Liberté, en se libérant de ces lois du Père : les lois de l’Incarnation. Comment ? en imitant le Fils…
Et nous en revenons à l’Eucharistie et à sa réalisation, qu’est l’action de grâce du Christ pendant la semaine sainte, au cours de laquelle, à travers Sa passion, Il nous a montré le chemin de la liberté, puisque, Lui-même s’est libéré des conditions de l’incarnation.
C’est pourquoi Il a dit Lui-même :
« Je ne suis pas venu pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir. » (Matthieu 5, 17-18).
Par Sa mort et Sa résurrection, il a prouvé qu’un être humain pouvait dépasser les lois de l’incarnation, et il a montré que c’était le but ultime de l’humanité. Et pour que nous ne soyons pas découragés par un but aussi élevé et lointain, Il a enseigné aux apôtres le chemin de la transformation de soi qui y mène.
Le vécu de Marie-Madeleine en est le plus représentatif. Pour le coup, un tel modèle vécu par le Christ en si peu de temps, rend parfaitement plausible le principe de la réincarnation : à mon sens, puisque aucun individu, même très doué et très motivé ne peut réaliser ce qu’a fait le Christ en une seule vie. Y parvenir demande des vies et des vies…
Une seule condition pour retrouver un jour l’immortalité : choisir de conquérir la liberté par amour, tout comme Lui s’est sacrifié par amour dans ce but. C’est pourquoi Son seul et dernier commandement fut un commandement d’amour :
« Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » (Jean 13,34).
Il nous demande de prendre modèle sur Lui dans notre façon d’aimer.
Dès lors, nous pouvons comprendre que vouloir atteindre un jour l’immortalité ne peut être un but uniquement pour soi : la motivation est la rédemption de l’humanité… C’est un but qui nous dépasse très très largement…
L’amour est le meilleur « garde-fou » qui soit ! Car aucune personne, ne peut se libérer des conditions de l’Incarnation si elle ne le fait pas par amour.
Le Christ a donc choisi Marie-Madeleine pour nous montrer le chemin progressif de l’amélioration de soi, et pour nous prouver que c’est possible. Or, quelle est l’une des grandes qualités de Marie-Madeleine : c’est l’amour…
« Ses nombreux péchés lui seront pardonnés, car elle a manifesté beaucoup d’amour. » (Luc, 7, 47)

Tant que nous demeurons dans l’ignorance et la culpabilité, nous restons égoïstes, en cherchant à compenser les difficiles conditions de l’incarnation, par un bonheur matériel ou affectif illusoire. Nous utilisons tout notre temps et toute notre énergie pour oublier que nous souffrons de ces lois. C’est ainsi que les êtres humains, de plus en plus intelligents, mais coupés de leur nature spirituelle, jouent aux apprentis-sorciers (clonage, médecine de longévité) pour retarder l’échéance de la mort physique, puisqu’ils ont oublié qu’ils avaient une âme immortelle.
Pour réduire leur souffrance venant de la croyance de la séparation du monde divin, créant un grand vide intérieur, ils se perdent dans les plaisirs des sens ou dans l’autre, par la quête du grand amour. Il s’anesthésient en se remplissant par une surconsommation, faisant ainsi le jeu par exemple, de cette mondialisation néolibérale tentaculaire qui domine le monde.
Pour pouvoir consommer du « bonheur », il faut travailler. Alors, pour travailler le moins possible, ils créent des machines pour produire à leur place, ils réduisent le temps de travail, afin de disposer de plus de temps pour consommer des loisirs, du bonheur, du plaisir… Bref, ce bonheur du Paradis perdu, le commun des mortels cherche à le créer sur terre, à l’extérieur, faute d’imaginer qu’il peut se trouver en soi.
En considérant les conditions de l’incarnation par rapport au corps physique et à l’extérieur, nous sommes à côté de la vérité. Si nous les prenons dans le sens intérieur : tout change !

  • Nous pouvons alors envisager comment transformer notre seule croyance en la matière qui amène à la mort, en vie intérieure, ou foi.
  • Nous pouvons expérimenter comment transcender la souffrance du manque en amour divin.
  • Nous pouvons, par notre vrai travail intérieur, par notre transformation, offrir au monde ce pour quoi nous sommes sur terre portés par notre espérance.
    Alors seulement, nous retrouverons le bonheur intérieur, qui n’est pas un but en soi mais une conséquence. C’est le bonheur de retrouver un jour notre patrie spirituelle.
    C’est cela que Marie-Madeleine nous invite à faire avec chacune des onctions. Chaque scène d’onction nous montre quel mal est à transformer et quel bien est à révéler.

1) La première onction chez Simon le pharisien

Le repas chez Simon le pharisien, Philippe de Champaigne, 1656 , musée des Arts de Nantes
Le repas chez Simon le pharisien, Philippe de Champaigne, 1656 , musée des Arts de Nantes

« Un pharisien pria Jésus de manger avec lui. Jésus entra dans la maison du pharisien, et se mit à table. Et voici, une femme pécheresse qui se trouvait dans la ville, ayant su qu’il était à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d’albâtre plein de parfum, et se tint derrière, aux pieds de Jésus. Elle pleurait ; et bientôt elle lui mouilla les pieds de ses larmes, puis les essuya avec ses cheveux, les baisa, et les oignit de parfum. Le pharisien qui l’avait invité, voyant cela, dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il connaîtrait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche, il connaîtrait que c’est une pécheresse. » Jésus (…) dit à la femme : « Tes péchés sont pardonnés ». Ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est celui-ci, qui pardonne même les péchés ? » Mais Jésus dit à la femme : « Ta foi t’a sauvée, va en paix. » »
Luc 7:36-50 (Édition Segond).

Transcender la pensée pour accomplir la loi de la mort

La boisson que le Seigneur Dieu préfère, c’est l’eau de mes yeux que l’amour secrète.
(Angelus Silesius)

La scène de la première onction de Marie-Madeleine chez Simon est relatée dans l’Evangile de Luc, sous le titre de « la pécheresse repentie » (Luc 7, 36 – 50). Cette scène est particulièrement liée à la pensée, à l’ignorance et à sa dérive qu’est l’orgueil, incarné par Simon le pharisien. Marie-Madeleine, par son histoire, nous dévoile comment elle a elle-même dépassé le mal, ce qui l’amène aux pieds du Christ.

La conséquence de la loi de la croyance en la mort : l’ignorance
La chute dans la matière nous a fait croire que nous étions coupés du monde divin. Cette croyance est renforcée par la mort du corps physique auquel nous nous identifions. Nous croyons qu’après la mort, c’est le néant, et que seule la matière est la vie, d’après ce que nous montrent nos sens physiques, de ce qui existe autour de nous. Donc, nous compensons la loi de la mort par une croyance. Nous croyons savoir… or, nous ignorons la vérité spirituelle qui est derrière le phénomène de la mort physique. Nos « vérités » sont extérieures à nous, puisque nous n’avons plus l’expérience consciente de l’existence du monde divin. Ainsi, Simon le pharisien, docteur de la Loi, attend le Messie, il a appris beaucoup de choses dans les livres, mais au fond de lui il n’a rien expérimenté. S’il avait conscience de sa propre dimension divine, il aurait forcément perçu la présente hautement divine de Christ en l’homme Jésus, car cela aurait fait écho à sa nature spirituelle. S’accrochant à ses dogmes et à ses croyances, il n’a pas pu le reconnaître. En réalité, il est resté ignorant.
L’ignorance est la maladie de la pensée.

La déviance : l’orgueil

L’arrogance est la chute.
Homme, s’il y a en toi du bon, ne t’en prévaux pas.
Dès que tu te l’attribues, la chute est accomplie.

Angelus Silesius

D’après ce que j’ai pu observer et vivre, l’orgueil se manifeste de nombreuses manières, soit de manière caricaturale, soit de manière très subtile, donc moins perceptible. Et pour l’orgueilleux qui voit la paille dans l’œil de l’autre, il est particulièrement difficile de voir et d’accepter la poutre qu’il a lui-même dans l’œil ! L’orgueil est un mal comportant de multiples facettes. Il vise à nous faire croire que nous sommes supérieurs aux autres, il nous fait prendre artificiellement de la hauteur, sans avoir à faire véritablement d’effort. A l’extrême, nous pouvons même nous prendre pour Dieu, tellement nous croyons être parfaits, donc très au-dessus des autres !
Le type d’orgueil le plus facile à déceler est le sentiment exagéré de sa propre valeur. Cela procure un sentiment de fierté légitime, qui peut être perçu dans les paroles, les attitudes, ou encore dans des conflits d’ego. C’est vouloir prendre de la hauteur sur autrui, en se montrant supérieur, prétentieux, présomptueux, afin d’avoir du pouvoir sur les autres, et au final, si possible, usurper la place du « roi ». C’est une forme de déviance du couronnement spirituel. Les signes qui peuvent indiquer un comportement orgueilleux sont les suivants : l’arrogance, la compétition, la comparaison, vouloir briller avec ses connaissances accumulées, comme le fait Simon le pharisien. Étaler ses connaissances sans les mettre à la portée des autres, nous coupe forcément d’eux. Ces propos appris et répétés qui ne sont pas vraiment les nôtres, sont morts. Ils ne sont pas parlants pour ceux qui les écoutent, car ils sont dénués de vie et d’amour. Quand l’orgueilleux ne parvient pas à ses fins, il peut basculer, selon son tempérament, dans le mépris, l’ironie, le dédain, le dénigrement. Où bien encore, quand il se compare et qu’il rencontre plus « élevé », plus « fort » ou plus « beau » que lui, il peut basculer dans la sous-estimation de soi. Alors il va tout faire pour séduire, afin de plaire et d’être reconnu. Il est possible d’osciller ainsi longtemps en fonction des rapports de force en présence, sans jamais régler le problème de fond, qui est l’incapacité à percevoir intérieurement son identité spirituelle.
En résumé, l’orgueil est à mon sens, une fausse élévation pour ne pas voir le mal et fuir ainsi sa responsabilité, et ne pas se transformer, tout en se faisant croire qu’on est parfait, et pas les autres… Ce mal peut générer le fanatisme, où l’on prétend vouloir améliorer le monde, sans s’améliorer soi.
Plus j’y réfléchis, et plus je me dis que l’orgueil est l’un de ces germes qui génèrent la rébellion, les conflits, les guerres, la violence… bref : la destruction, et au final, la mort !

« La pécheresse repentie » lors du repas chez Simon

Le diable n’entend que tonnerre, vacarme et craquements.
Aussi pourras-tu trouver plaisir à le rendre par la douceur, fou à lier.

Angelus Silesius

Marie-Madeleine pleure aux pieds du Christ, puis elle essuie ses pieds avec ses longs cheveux dorés. sur lesquels elle verse ensuite du parfum de grande valeur. Cette scène est extrêmement touchante. D’ailleurs, Marie-Madeleine touche le Christ au sens propre comme au sens figuré. Par l’amour qu’elle rayonne et qui déborde d’elle, le Christ est extrêmement touché par cet acte d’amour et de don.
Dans cette scène, Simon le pharisien incarne le comportement orgueilleux décrit ci-dessus. Fort de ses connaissances de la Torah, il condamne le fait que le Christ se laisse toucher par une pécheresse. Simon se comporte en juge et déclare Marie-Madeleine coupable de mal agir. Il attache plus d’importance au mal, le passé de Marie-Madeleine, qu’au bien incarné par le Christ. De sa hauteur, fort de ses croyances et de son idée qu’il a du Messie à travers les livres, Simon ne peut pas se laisser toucher dans le cœur, il ne parvient pas à discerner Dieu en l’homme Jésus.
Pendant que Marie-Madeleine offre son onction, le Christ répond à Simon par la parabole du créancier et de ses deux débiteurs, lesquels sont remis de leurs dettes. Il lui explique que Simon n’a même pas fait laver les pieds de son hôte, ce qui, à cette époque, était une tradition. Et il termine en disant :
« Celui à qui on pardonne peu de choses manifeste peu d’amour« . (Luc 7,47)

Dans cette première onction, Marie-Madeleine exprime l’inverse de la pensée orgueilleuse, incarnée par Simon et qu’elle-même a vécu dans le passé : en s’agenouillant respectueusement aux pieds du Christ, elle exprime l’humilité. La connaissance qu’elle a du plus grand bien que lui reflète le Christ, l’a fait basculer dans le repentir, qu’elle exprime avec ses larmes. Quand elle essuie les pieds du Christ avec ses cheveux, elle montre que sa pensée l’amène à connaître la vérité de l’existence du Verbe, de Dieu le Fils incarné.

Puis, dans son onction, en versant du parfum sur les pieds du Christ, elle rend hommage à Celui qui est venu sur terre, le sert et le vénère dans une douceur et une délicatesse infinies. Elle s’engage à offrir au monde et à Dieu ce qu’il y a de meilleur en elle : le parfum exquis de son cœur. En effet, ses péchés sont pardonnés, car elle a beaucoup donné d’elle-même, par-don.

Le symbole de Marie-Madeleine : l’or
L’or est l’un des attributs de Marie-Madeleine, représenté par sa chevelure dorée. Les cheveux dorés, représentent la pensée emplie de sagesse. Donc le symbole de l’or est très approprié pour représenter la spiritualisation de la matière et(dépasser la loi de l’incarnation qu’est la mort.
« L’or a un caractère igné, solaire et royal, voire divin. Le fond des icônes byzantines est doré, reflet de la lumière céleste. L’or-lumière est très généralement le symbole de la connaissance. La transmutation est une rédemption; celle du plomb en or, dirait Silesius, c’est la transformation de l’homme par Dieu en Dieu. Tel est le but mystique de l’alchimie spirituelle« .
Dictionnaire des symboles

La sacralisation par le repentir, et l’amour de la connaissance
Dans la scène, Marie-Madeleine n’est pas absolument pas atteinte par le jugement de culpabilité de Simon. Cette onction est la seule où sont relatés les pleurs de Marie-Madeleine. Elle ne pleure pas de culpabilité. Dans la culpabilité, nous souffrons parce que nous n’entrevoyons pas de solution possible.
Les pleurs de Marie-Madeleine sont ceux du repentir, ils portent l’espérance de la grâce. Car, en rencontrant le Christ, elle a pris conscience de sa propre dimension divine, et elle a vu en quoi elle s’était reniée, en se comportant comme Simon. C’est son cœur qui lui a permis de voir, cet amour infini qu’elle a en potentiel. Marie-Madeleine a été « retournée », en rencontrant le Christ. Cette expression signifie que sa pensée s’est réellement retournée en elle, vers sa nature divine, par la vraie connaissance issue de son vécu intérieur, c’est à dire l’accès à la sagesse divine à de connaissance du Christ.
Le repentir, c’est le choix der se tourner vers le bien. Connaître, c’est co-naître, c’est « naître avec »… Dieu. Or, la naissance de Dieu se produit par l’amour pour la connaissance, pour cette Sagesse. Cette connaissance reprend vie en soi et se fait foi, certitude, et vérité vécue intérieurement. Alors le cœur s’enflamme d’amour pour le monde divin qui orchestre toute cette Sagesse pour la destinée humaine. Ce feu sacré aide à embraser ce qui reste des doutes et des peurs, il aide à transformer l’orgueil en humilité, en don de soi et en vénération, à l’image de Marie-Madeleine.

La par-don grâce à l’humilité
La purification d’une pensée faite uniquement de croyances et de doutes se fait par la vie intérieure. Le fait de rechercher, d’étudier et de méditer sur des textes sacrés, sur des œuvres d’art, etc. rend la pensée vivante. Notre pensée peut alors accéder à la vérité. Nos vérités sont ce que nous avons pu vivre intérieurement et vérifier en l’expérimentant par nous-mêmes. Faire cela demande de s’abaisser respectueusement en soi, face à la connaissance qui s’éveille dans son être intime. Cela s’appelle l’humilité.
Humilité vient du mot français homme, en latin « humus » : terre. Créature née de la terre, par opposition aux dieux qui sont célestes. Humilis signifie qui reste à terre : humble. Qui manifeste une attitude volontairement modeste. Etat d’esprit de quelqu’un qui est humble, porté à rabaisser ses propres mérites. (Source : dictionnaire).
Dans la scène de la première onction, Marie-Madeleine est à genoux aux pieds du Christ. Elle adopte une position d’humilité, alors que Simon est debout avec le doigt inquisiteur.

La 1ère loi transcendée révèle la foi
Les études, la méditation des connaissances, élève la pensée, suscite l’émerveillement et l’amour de la sagesse universelle. Nous libérant de la croyance de la mort, des dogmes et de la pensée collective, la connaissance nous aide à révéler qui nous sommes en tant qu’être incarné sur terre. Elle nous aide à retrouver notre but de vie, notre idéal, ce qui est essentiel pour nous. En ce sens, la connaissance issue de la foi est libératrice.
Dans la première onction, le changement de la pensée est couronné par la foi provenant de la connaissance.
Nous connaissons ce que nous aimons. Transcender sa pensée est une action de grâce.
L’action de grâce manifestée par l’être humain dans sa pensée est la foi.

Le modèle vécu par le Christ et l’image inversée
Pendant la première onction, Marie-Madeleine baigne les pieds du Christ de ses larmes. Le Christ lui-même à lavé les pieds de ses disciples le Jeudi Saint. Ce qui signifie que Dieu à travers le Christ, s’intéresse au drame humain, il se penche, et se met à la portée, au service de l’être humain. Le lien spirituel est retrouvé. Il abolit la croyance de la séparation d’avec le monde divin (la croyance en la mort de la 1ère loi de l’incarnation).
L’image inversée fut vécue par le Christ lorsqu’il fut arrêté et emprisonné, donc coupé du monde, et quand Pilate s’en lava les mains. D’ailleurs, depuis, l’expression « s’en laver les mains » signifie que l’on n’est ni intéressé, ni concerné par telle ou telle situation.

2) La deuxième onction à Béthanie

« Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie, où était Lazare, qu’il avait ressuscité des morts. Là, on lui fit un souper ; Marthe servait, et Lazare était un de ceux qui se trouvaient à table avec lui. Marie, ayant pris une livre d’un parfum de nard pur de grand prix, oignit les pieds de Jésus, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux ; et la maison fut remplie de l’odeur du parfum. Un de ses disciples, Judas Iscariot, fils de Simon, celui qui devait le livrer, dit : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ? » Il disait cela, non qu’il se mît en peine des pauvres, mais parce qu’il était voleur, et que, tenant la bourse, il prenait ce qu’on y mettait. Mais Jésus dit : « Laisse-la garder ce parfum pour le jour de ma sépulture. Vous avez toujours les pauvres avec vous, mais vous ne m’avez pas toujours. » ».
Jn 12:1-8 (Édition Segond)

Transcender le sentiment pour dépasser la loi de la souffrance

On éprouve l’or au creuset pour voir s’il est pur, et ton amour à la croix pour connaître sa pureté.
Angelus Silesius

La scène de la deuxième onction de Marie-Madeleine est relatée dans l’Évangile de Jean, sous le titre « le parfum répandu sur les pieds de Jésus »(12, 3). Elle s’est déroulée chez son frère Lazare, 6 jours avant la Pâques. Entre les deux onctions, deux événements particulièrement importants dans l’histoire de Marie-Madeleine se sont produits : d’une part, il y a eu la mort et la résurrection de Lazare, d’autre part Marie-Madeleine a purifié son sentiment, par la délivrance de ses « sept démons ». Cette onction en symbolise la consécration. La scène qui se déroule est liée au mal présent dans le sentiment (qui fait ressentir la souffrance), au plaisirs et à sa dérive qu’est l’attachement. Le mal à transformer est incarné par Judas. L’onction de Marie-Madeleine nous révèle en essence comment dépasser ce mal, puisque elle-même y est arrivée.

La conséquence de la loi de la souffrance : le sentiment d’abandon

L’extrême grandeur du christianisme vient de ce qu’il ne cherche pas un remède surnaturel contre la souffrance, mais un usage surnaturel de la souffrance.
(Simone Weil)

En vivant la Chute dans la culpabilité, nous ressentons l’abandon, et nous croyons être punis pour avoir péché. Séparés en apparence du monde divin (puisque nous nous identifions au corps physique et au monde extérieur que nous percevons au moyen des sens), nous ressentons le manque, le vide intérieur, qui crée une souffrance plus ou moins consciente.
Alors nous anesthésions notre souffrance en cherchant à nous remplir du monde extérieur, des autres ainsi que de l’être aimé au moyen des sens. Nous cherchons à substituer le paradis perdu en nous créant un paradis sur terre. Nous désirons, jusqu’à convoiter ce que nous croyons ne pas avoir, ou ne pas être. Nous mettons toute notre énergie pour le conquérir : travailler pour se procurer l’argent nécessaire à la satisfaction de nos désirs matériels, rester jeune, séduire pour trouver l’âme sœur, etc. Le but est de trouver un certain plaisir en nous remplissant, ce qui allège notre souffrance du manque, tout en nous donnant l’illusion de ne plus nous sentir vide. Mais le plaisir passe et la souffrance revient…
Le sentiment d’abandon nous fait rechercher sans cesse à l’extérieur ce que pourtant nous avons en nous : notre nature spirituelle, faite de vie et d’amour… L’illusion la plus grande par rapport au sentiment d’abandon, c’est de croire inconsciemment que par la relation sentimentale, nous retrouvons notre moitié perdue, notre âme dont nous croyons être coupés. Alors, nous prenons chez l’autre son amour, parfois même jusqu’à le piller, tel Judas qui volait dans la bourse, sans pouvoir donner: que puis-je donner puisque je suis persuadée d’être vide ?

« L’onction de Béthanie » chez Lazare
La scène de la deuxième onction comprend tous les archétypes décrits ci-dessus ainsi que les dérives et la solution pour en sortir.
Marie-Madeleine embrasse tendrement les pieds du Christ, puis elle verse délicatement du précieux parfum sur ses pieds. Judas, disciple du Christ et trésorier, est présent. Il s’offusque d’un tel gâchis, alors que l’argent du parfum aurait pu servir pour aider les pauvres. Le Christ demande à Judas de laisser Marie-Madeleine en paix, en signalant que le parfum sera utile plus tard pour sa sépulture.
Marie-Madeleine ne pleure plus, elle maîtrise ses émotions. Elle agit en pleine conscience du devenir du Christ. En se délivrant de ses sept démons, elle a appris à renoncer à ses désirs, à son égoïsme, bref à s’oublier pour servir Celui qu’elle aime le plus au monde et qu’elle devra « perdre ». Elle a accepté ce renoncement à la chair, à Sa présence près d’elle. Elle le sait et elle l’accepte.

Recueillie dans son silence intérieur, elle n’entend pas Judas. Agenouillée, elle embrasse les pieds du Christ, de Celui qui est venu sur terre, pour Le remercier de qu’Il a fait et ce qu’Il fera ensuite. Elle embaume les pieds du Christ pour exprimer sa gratitude et sa compassion, son amour devenu vierge et pur grâce au renoncement total, au sacrifice de son égoïsme. Marie-Madeleine représente l’amour possessif rédempté en amour divin.Dans cette onction, Marie-Madeleine exprime sa vénération.

Dans son étymologie, vénération vient de « venustas » : séduction, grâce ; et de « venia » : action de bien vouloir.
La vénération signifie le respect et l’admiration que l’on a pour quelqu’un. C’est aussi un sentiment de piété, d’adoration, de respect pour des choses saintes. Vénérer c’est rendre à Dieu, à un Saint, le culte qui lui est dû.
C’est célébrer le monde divin qui s’est mis à notre portée.
Il me semble que depuis la venue du Christ, la vénération remplace la dévotion à l’orientale, dans laquelle la pensée était moins présente, moins forte. Certes, c’est moins exotique : mais c’est surtout moins facile… Car dans la vénération, il existe un effort réalisé sur le plan de la pensée, qui s’associe au cœur.

La déviance : l’attachement
L’attachement est l’une des maladies du sentiment. Pour ne plus souffrir, nous recherchons ce plaisir qui nous donne l’illusion de nous remplir. Ensuite, notre préoccupation, c’est de faire durer la sensation agréable de se sentir plein.
En y réfléchissant bien, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous finissons par admettre que sommes souvent biens plus attachés aux sensations que nous procurent les biens ou les personnes, qu’aux biens et aux personnes eux-mêmes !
Nous nous en apercevons surtout quand nous commençons à ressentir la souffrance du vide, c’est à dire du manque, de quelque chose en soi. Ressentir ce manque est un signe pour discerner que nous sommes davantage attachés à la sensation agréable que la personne nous procure, bien plus qu’à la personne elle-même.
Arriver à accepter cela peut prendre beaucoup de temps : le temps qu’il nous faudra pour renoncer à cette attachement, à cette sensation de bien-être. Cela demande aussi beaucoup de courage, car inconsciemment nous savons très bien que ce que nous avons conquis si difficilement, nous le perdrons un jour. Nous avons bien perdu le paradis ! Comme nous nous croyons damnés, punis et coupables, con-damnés à vivre sur terre une très courte vie, nous croyons que nous n’avons pas le droit d’aimer, ni d’être aimé, bref que nous n’avons pas droit au bonheur.
Alors quand nous touchons un bout de bonheur, nous faisons tout pour le garder le plus longtemps possible, en nous attachant aux sensations agréables qu’il procure. Nous continuons à vivre dans le goût de l’interdit, à cause de ce bonheur « volé », ce qui du coup, nous fait souffrir deux fois plus !
L’attachement se manifeste de multiples manières : l’attachement aux biens matériels, aux autres, aux sensations, etc. Il nous maintient dans le prendre et dans l’égoïsme, au détriment des autres. Les fruits empoisonnés qui en découlent sont la possessivité, l’envie, la jalousie, la comparaison, la trahison, le chantage affectif, la fausse abnégation, la manipulation pouvant aller jusqu’à la haine et la destruction.
Et nous projetant sans cesse à l’extérieur, l’attachement nous empêche de revenir en nous-mêmes, dans notre cœur pour accepter de voir notre souffrance, et derrière elle, la part de soi qui est à transformer, pour être offerte au monde.

Judas quant à lui, avait pour habitude de voler en prenant l’argent pour lui dans la caisse. Le parfum versé, c’est ce qu’il devra prendre en moins. Nous retrouvons ici le fait de piller ce qui est aux autres pour se remplir. Son argument d’aider les pauvres est donc hypocrite, il pense d’abord à lui. Et il pense que le Christ a tort de s’intéresser à ce que fait Marie-Madeleine, alors qu’Il devrait plutôt s’occuper de renverser le pouvoir en place, afin de devenir le roi des Juifs. Ainsi, Judas aurait une place de choix. Lui ne supporte pas l’idée que le Christ meure, non pas parce qu’il l’aime, mais parce que ses projets de la prise du pouvoir seraient anéantis. Il est attaché au Christ pour accéder à l’argent, à une position sociale, à la puissance sur les autres. C’est ce qui le conduira par la suite à trahir le Christ.
Nous retrouvons le mal incarné par Judas, dans l’attachement aux valeurs extérieures, et à la vie facile, en raison de la souffrance dans le sentiment, issu de la Chute, qui fait aspirer à un bonheur extérieur illusoire.
Tandis que Marie-Madeleine, aux côtés du Christ, a renoncé à tous ses biens, elle a vaincu les démons de son égoïsme, en redoublant d’efforts, en trouvant toujours la force de se relever après chaque chute. Elle a réussi cela parce qu’elle avait un idéal très élevé, plus vaste qu’elle, et qu’elle a su identifier par la connaissance, ce modèle et cette espérance incarnés en l’être Jésus-Christ.

Le symbole de Marie-Madeleine : la couleur rouge
La purification du sentiment est symbolisée par la couleur rouge, qui représente aussi le sang. Car le sang versé nous rappelle la notion de sacrifice. D’où l’expression « rouge passion », ce qui n’est pas sans rappeler aussi la Passion du Christ. Le sang du Christ a été recueilli dans une coupe. Cette coupe symbolise le cœur humain, le lieu des transformations. Lorsque nous sacrifions nos passions égoïstes, c’est comme si notre sang se purifiait et s’unissait au Sang du Christ qui fut versé. C’est ce qu’affirme St Paul, à propos du rituel eucharistique :
« La coupe que nous bénissons n’est-elle pas communion avec le sang du Christ ? » (I Cor.10/16).
L’Eucharistie, qui je le rappelle signifie « action de grâce », peut se vivre de multiples manières, à chaque fois que la volonté divine se manifeste à travers nous.
Ainsi, Marie-Madeleine, dont la coloration dominante est son potentiel d’amour infini, incarne parfaitement le fait de purifier son sentiment grâce à l’amour de la connaissance, pratiqué dans sa vie intérieure.

La sacralisation par l’amour sacrificiel
Avec le sacrifice, nous touchons une notion délicate, car elle est très mal vécue et surtout très mal comprise dans la pensée collective, puisqu’elle se limite à une image très négative du Christ en croix sanguinolent, ou bien au sacrifice des animaux, selon les religions.
Le mot sacrifice vient de « sacrificare » : offrir un sacrifice à une divinité. Sacrifier, c’est faire offrande à Dieu, c’est renoncer à quelque chose .

« Sacrifier, c’est l’action de rendre quelque chose ou quelqu’un sacré », c’est à dire séparé de celui qui l’offre, que ce soit un bien propre ou sa propre vie ; séparé également de toute le monde resté profane. Le sacrifice est un symbole du renoncement aux biens terrestres par amour de l’esprit ou de la divinité. Le sacrifice de soi doit être envisagé dans une perspective juste, car l’auto-sacrifice qui proviendrait d’une orgueilleuse humilité serait une erreur qui risquerait d’aboutir au masochisme, éloignant ainsi de la plénitude de l’amour. Le sacrifice célèbre d’abord une victoire intérieure. A l’image de Mithra sacrifiant un taureau, le sacrifice, selon C-G Jung, symbolise la victoire de la nature spirituelle de l’homme sur son animalité, dont le taureau est le symbole le plus connu. Le seul sacrifice valable est la purification de l’âme de toute exaltation, purification dont un des symboles constants est l’animal innocent, le bélier.« 
Dictionnaire des symboles.

Le modèle du sacrifice a été bien sûr repris par le Christ, puisqu’il est devenu l’Agneau de Dieu, qui s’est offert en sacrifice, marquant ainsi l’un des piliers de la nouvelle alliance, selon laquelle il n’est plus nécessaire de sacrifier des animaux pour « plaire » à Dieu. C’est à l’être humain de sacrifier son égoïsme (cf. l’image du Christ en Croix) pour s’améliorer, et offrir ce qu’il y a de meilleur en lui par amour, en libérant ce qui est divin en lui (cf. L’image du Christ ressuscité, et du parfum versé par Marie-Madeleine).
C’est ce qu’on appelle l’amour sacrificiel. A mon sens, l’amour sacrificiel est l’une des formes d’amour les plus belles qui soient. C’est l’un des aspects les plus bouleversants dans l’étude du Christ et des Evangiles. Le modèle d’amour sacrificiel du Christ, nous aide peu à peu à sacraliser notre relation au divin, et au monde, d’une façon plus générale.
La connaissance du Christ, amène forcément l’amour, car il fait naître en soi l’émerveillement et la gratitude. Ce qui est émouvant aussi, c’est de voir comment il est possible de se transcender par amour, à Son image.
Nous retrouvons la notion de responsabilité de « respondere« , qui signifie : répondre à un engagement solennellement pris. C’est l’engagement de rédempter le mal en soi pour manifester le bien, son but de vie, au service des autres et du monde divin.
Et il en faut du courage pour choisir délibérément de se confronter à ses démons et les sacrifier, afin de libérer ce que nous sommes réellement en esprit!
Marie-Madeleine incarne aussi ce modèle de courage venant du cœur. C’est pourquoi, dans la scène de l’onction ,on peut imaginer le Christ partageant cet amour sacrificiel avec elle, qu’Il ressent quand il voit Marie-Madeleine se transformer par amour pour son idéal. Car elle atteint ce qui le plus est grand en l’être humain : sa dignité d’être humain incarnant et manifestant le bien, le divin sur terre. Ce n’est pas quand nous croyons être parfaits que nous sommes dignes. Car nous sommes à la fois dans l’illusion de la perfection et de la dignité… C’est quand nous faisons l’effort de nous améliorer par amour pour un but élevé, qui nous dépasse, à l’image de Marie-Madeleine. L’amour sacrificiel christique amène la liberté intérieure, conquise de haute lutte sur soi-même. Il amène forcément à la fraternité.

Le par-don grâce à la compassion
La purification du sentiment, fait d’attachement, de possessivité, de prendre, passe par le sacrifice de ses attentes et de ses désirs égoïstes tant vis à vis des autres (bonheur affectif) que vis à vis de l’incarnation (bonheur matériel).
Marie-Madeleine ne pourra plus jamais souffrir de son désir d’union, de son vide. Oubliant sa propre souffrance de devoir quitter prochainement le Christ, par ce geste, elle exprime la compassion, c’est à dire sa volonté de partager la souffrance qu’Il va endurer. Elle se prépare à souffrir avec Celui qu’elle chérit, par compassion.
Compatir, c’est souffrir avec… Dieu, c’est à dire l’être spirituel de l’autre, lorsque l’on sacrifie mon égoïsme par amour de son but spirituel.

La 2ème loi transcendée révèle l’amour divin
Dans son Hymne à l’amour (I Corinthiens, 13, 4-7), St Paul nous dit que l’amour est le plus grand, telle la pierre du faîte du temple chrétien, dont ses deux colonnes sont la foi et l’espérance.
Intérieurement, Marie-Madeleine se sent unie au Christ, pour l’éternité
La véritable transformation intérieure consiste à brûler en soi, à sacrifier dans l’autel sacré de son cœur tous ces attachements qui nous illusionnent sur les retrouvailles de notre « moitié », alors qu’en réalité, ils nous en éloignent. Par la connaissance de notre but de vie, de notre idéal, nous aspirons de tout notre courage à renoncer à ces illusions qui nous font souffrir car elle nous collent à la matière et aux sens, et nous éloignent de notre nature divine, donc de Dieu.
Cela demande donc de voir ses attachements, de ne plus fuir sa propre souffrance dans les sensations agréables, mais de la vivre. Faire cela, c’est purifier son sentiment par la vie intérieure, ce qui revient à associer le première et la deuxième onction. Alors, la souffrance est purificatrice.
C’est ce qui permet de toucher en soi l’amour divin véritable. Cet Amour qui existe depuis l’origine et qui a créé les mondes… L’amour du Verbe créateur qui donne la vie.
Bien sûr, nous n’avons pas la chance de vivre aux côtés du Christ pour connaître cet amour divin aussi rapidement que l’a vécu Marie-Madeleine. Mais puisque l’énergie d’amour éternel du Christ est en nous, en purifiant notre sentiment, nous pouvons arriver à effleurer une telle grâce… Nous pouvons le vivre quand nous sommes totalement présent dans le don total de soi, en s’oubliant pour se donner à l’autre, tel que le fit Marie-Madeleine.
Ainsi quand deux êtres se rencontrent et s’aiment profondément, ils se retrouvent dans le don total de leur amour. C’est un amour paisible, posé, très doux. Un silence intérieur s’installe. Cela peut être le temps d’un court instant, en étant totalement présents. Ils ressentent que tout coule de source, que tout est limpide, évident, qu’ils se connaissent depuis toujours et que cet amour est éternel.
Parce que ce quelque chose qui s’éveille dans le cœur, telle la princesse endormie et sortant d’un long sommeil, marque leur mémoire du cœur à jamais. Paradoxalement, dans ce court instant, ils partagent ce que peut-être le ressenti de l’éternité… l’amour éternel.
Dans la deuxième onction, la transformation du sentiment est couronné par l’amour divin, dans lequel nous célébrons l’union des êtres qui se retrouvent pour partager et s’entraider.
Transcender sa souffrance est une action de grâce.
L’action de grâce manifestée par l’être humain dans son sentiment est l’offrande de son amour divin.

Le modèle vécu par le Christ et l’image inversée
Pendant la deuxième onction, Marie-Madeleine consacre avec le Christ sa virginité retrouvée, grâce à la purification de son égoïsme. Le Christ Lui-même, après son arrestation, a vécu la flagellation. Ce qui correspond à la spiritualisation du sentiment par la souffrance (2ème loi de l’incarnation). L’image inversée fut vécue par le Christ lorsqu’il fut souillé par des crachats et humilié par des injures. Il commence alors à incarner la souffrance du monde. Celle-ci se poursuivra avec le chemin de Croix et toute la Passion (étymologie : souffrir).

3) La troisième onction chez Simon le lépreux à Béthanie

« Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux et, pendant qu’il était à table, une femme vint, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d’albâtre et lui versa le parfum sur la tête. Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation : « À quoi bon perdre ainsi ce parfum ? On aurait bien pu vendre ce parfum-là plus de trois cents pièces d’argent et les donner aux pauvres! » Et ils s’irritaient contre elle. Mais Jésus dit : « Laissez-la, pourquoi la tracasser ? C’est une bonne œuvre qu’elle vient d’accomplir à mon égard. Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien. Mais moi, vous ne m’avez pas pour toujours. Ce qu’elle pouvait faire, elle l’a fait : d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement. En vérité je vous le déclare, partout où sera proclamé l’Évangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait. »
Marc 14:3-9 (et Matthieu 26:6-13) Textes de la TOB, éditions du Cerf.

Le repas chez Simon, Jean Restout, 1741, Chevreuse
Le repas chez Simon, Jean Restout, 1741, Chevreuse


Transcender la volonté pour dépasser la loi du travail

Le plus grand trésor après Dieu : la bonne volonté sur terre.
Tout a beau être perdu, par elle un devenir reste possible.

Angelus Silesius

La scène de la troisième onction de Marie-Madeleine est relatée sous le titre : « l’onction à Béthanie » dans l’Évangile de Matthieu (Matthieu 26, 6 – 16) et l’Évangile de Marc (14, 3 – 9). Elle se déroule deux jours avant la Pâque, chez Simon le lépreux. La scène représente symboliquement la transformation du mal présent dans la volonté, incarné par Judas : le pouvoir pris par Judas sur la communauté des disciples. Marie-Madeleine incarne la spiritualisation de la volonté par la manifestation d’un acte de don totalement désintéressé, et au service de la cause la plus élevée qui soit : la résurrection du Christ.

• La conséquence de la loi du travail : l’oisiveté
Face à la loi du travail obligatoire, pour répondre aux besoins primaires tels que : se nourrir, se loger, se chauffer, se reproduire, etc. l’être humain va développer son intelligence pour alléger ces conditions difficiles et faire le moins d’effort possible, dans le but d’adoucir ses conditions de vie. Nous sommes ici dans la conception extérieure du travail, c’est à dire dans la relation de l’être humain à la matière, à la terre. C’est pourquoi il y eut l’apparition de l’esclavage, où l’être humain prit le pouvoir sur d’autres, afin de les assujettir à sa propre volonté. Ensuite, le machinisme a réduit le besoin de travail humain. Nous avons vu aussi diminuer le temps de travail. A notre époque, l’individu s’est créé l’illusion d’être libéré de l’esclavage. Sa vision du travail obligatoire se limite au temps de travail consacré à « gagner sa vie ».

La déviance : la soumission et le pouvoir


« Si vous désirez une image de l’avenir, nous dit l’aimable tortionnaire (dans le livre de George Orwell) « 1984 », imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement. La botte est toujours là, même si elle se cache sous les délices de la société de consommation.« 
François Brune – Le Monde diplomatiqu

Intérieurement, l’individu n’a jamais été autant esclave et soumis à un pouvoir invisible. Pour bénéficier d’un « confort de vie » et être protégé, l’être humain a en quelque sorte vendu son âme, en oubliant la force de sa nature spirituelle, et en se soumettant de plein gré à la dictature sournoise de la société consumériste. Se soumettre à un pouvoir extérieur, c’est d’une certaine façon trahir sa nature spirituelle, la renier, car celle-ci se trouve étouffée, et ne peut être libérée pour se révéler.
La soumission ou le pouvoir sur autrui sont les la maladies de la volonté.
L’individu en est réduit à faire fonctionner la machine économique en étant à la fois producteur et consommateur, et il passe à côté de la loi du travail, à transcender en travail sur soi, afin de révéler qui il est Esprit, c’est à dire en tant qu’individualité, procédant du divin.
Dans le pire des cas, les plus « hardis » finissent par se rebeller et par prendre le pouvoir à leur tour. Dans le meilleur des cas, les véritables courageux sont ceux qui comprennent que la lutte extérieure est inutile s’ils ne travaillent à s’améliorer eux-mêmes, à se libérer de leurs croyances, de leur bonheur illusoire, et de la soumission à quelque autorité que ce soit, dans le but d’offrir ce qu’il y a de meilleur en eux.

« L’onction à Béthanie » chez Simon le lépreux
Cette fois, dans le titre, il est bien question « d’onction », car, Marie-Madeleine ne verse plus de parfum sur les pieds du Christ, mais sur Sa tête. Dans l’action, Marie-Madeleine est confrontée au mal, incarné à la fois à Judas et au groupe des disciples. Usant du pouvoir et de la peur des disciples d’être seuls après la mort du Christ, Judas les rallie de son côté pour critiquer l’acte de Marie-Madeleine. Judas parvient à faire en sorte que les disciples se soumettent à sa volonté.
Le mercredi saint est le jour du choix : choisiront-ils le Christ et Marie-Madeleine, ou Judas? Ils ont choisi Judas, celui qui a vendu le Christ pour le prix du parfum utilisé par Marie-Madeleine…
Probablement par manque de pensée, et surtout par ignorance, en ce sens qu’ils ignorent le sens prophétique de la scène qui se déroule sous leurs yeux. Marie-Madeleine, quant à elle, sait. Elle a pleine conscience de ce qui se prépare, et elle a choisi d’accompagner le Christ jusqu’au bout, même au-delà de la mort, puisqu’elle sera la première à le voir ressuscité de dimanche de Pâques.
Le Christ une fois de plus parle de sa mort prochaine en disant :
« En répandant ce parfum sur mon corps, elle l’a fait en prévision de ma sépulture (…) partout où cette nouvelle sera publiée, dans le monde entier, on racontera aussi ce que cette femme a fait, afin qu’on se souvienne d’elle ».
Le Christ marque pour l’éternité le geste hautement symbolique de Marie-Madeleine. Car il est fondamental que l’humanité se souvienne que la mort et la résurrection du Christ qui adviendront plus tard, l’être humain pourra l’imiter, tel que l’a fait Marie-Madeleine : en travaillant intérieurement à s’améliorer pour révéler sa nature spirituelle et l’offrir au monde.
Debout près de Christ, Marie-Madeleine s’est levée, elle est dans l’action, totalement dévouée au Christ. Elles se tient debout, tout près du Christ. Ils sont unis en Esprit. Une fois encore, elle est totalement recueillie, malgré le brouhaha dans la salle. Elle agit selon la volonté dictée par son cœur, c’est à dire être au service de l’Être qu’elle aime le plus au monde. Forte de sa foi et de son choix, solidement ancrée dans la ferveur de son cœur, Marie-Madeleine est inébranlable, quoi qu’il arrive.
Dans ce couronnement, Marie-Madeleine dessine l’auréole divine du Christ.
« Auréole vient de or (latin aurum) et de aureloa ou corona : couronne d’or. C’est un cercle lumineux autour de la tête représentant la gloire, le prestige. Ce rayonnement d’origine solaire indique le sacré, la sainteté, le divin. L’auréole elliptique, ou auréole située autour de la tête, indique la lumière spirituelle. Celle-ci préfigure celle des corps ressuscités. Il s’agit donc d’une transfiguration anticipée en corps glorieux. »
(Dictionnaire des symboles)
L’onction sur la tête du Christ est donc lourde de sens : elle annonce autant sa mort future, que Sa résurrection.

Le symbole de Marie-Madeleine : le parfum
Dans la troisième onction, le symbole de Marie-Madeleine est le parfum de nard pur quelle verse sur la tête du Christ. C’est un parfum rare, cher et précieux, tel un trésor.
Le parfum symbolise la pureté de l’être. On dit d’ailleurs : « être en odeur de sainteté », ce qui fait référence à ce parfum du lys, qui se dégage des saints, cars il ont purifié leur égoïsme.
Dans l’antiquité, « on extrayait du nard un parfum des plus précieux qui évoquait des qualités royales.
(…) Les Pères de l’Église feront du nard un symbole d’humilité, ce qui tranche un peu avec le caractère royal et somptueux de ce parfum. Le nard est une petite graminée : en pressant les racines de cette plante, on obtient le plus merveilleux des parfums. Ainsi en va-t-il de l’humilité qui donne les fruits de la plus sublime sainteté
« . Dictionnaire des symboles.
Le petit flacon de parfum représente le cœur, et le parfum exquis, l’amour pur qui déborde du cœur de Marie-Madeleine pour s’offrir à Dieu et au monde.
Elle peut offrir ce qu’il y a de meilleur en elle, le trésor présent dans son cœur, son amour divin infini, parce qu’elle a réalisé le travail intérieur de transformation. Elle a transcendé la loi du travail extérieur qui soumet l’être humain dans sa volonté.

La sacralisation par le travail intérieur ou créativité
Sacraliser la loi d’incarnation du travail, consiste à transcender cette loi grâce au travail intérieur. Cela consiste à cesser de soumettre à ceux qui nous prennent en charge, en décidant pour soi, pour apprendre à se porter soi-même, en sachant concrètement, au quotidien, ce qu’il est bon de faire pour soi et pour les autres.
Pour y parvenir, il faut comme Marie-Madeleine, avoir expérimenté les deux premières onctions, c’est à dire, avoir commencé à se créer une vie intérieure (travail sur la pensée), et à renoncer à ses désirs égoïstes (travail sur le sentiment), car ainsi que nous pourrons accéder à notre trésor intérieur, caché dans notre cœur.
La notion de trésor caché est très riche en tant que symbole spirituel, car se trouve avec lui, le secret de la façon dont nous pouvons le déterrer :
« Le trésor caché est le symbole de l’Essence divine non manifestée. Celui aussi de la connaissance ésotérique. D’une façon générale, les trésors sont des symboles de la connaissance, de l’immortalité, des dépôts spirituels, que seule une quête périlleuse permet d’atteindre. Ils sont finalement gardés par des dragons ou des monstres, images des dangereuses entités psychiques dont on risque d’être la victime, faute des qualifications et des précautions nécessaires. Le trésor est généralement au fond des cavernes ou enfoui dans les souterrains. Cette situation symbolise les difficultés inhérentes à sa recherche, mais surtout la nécessité d’un effort humain. Le trésor n’est pas un don gratuit du ciel ; il se découvre au terme de longues épreuves. Ce qui confirme que le trésor caché est de nature morale et spirituelle et que les épreuves, les combats avec les monstres, avec les tempêtes, avec les brigands de la route, sont, comme ces obstacles eux-mêmes, d’ordre moral et spirituel. Le trésor caché est le symbole de la vie intérieure et les monstres qui le gardent ne sont autres que des aspects sombres de nous-mêmes« .
Dictionnaire des symboles

Donner le meilleur de soi, permet de sacraliser ses actes, par amour de l’action. Or je ne peux donner de moi que ce que je connais. Quel trésor offrir au monde, à Dieu ? Seul le travail intérieur permet de le découvrir. Le jour où on le découvre, on choisi par amour de l’offrir aux autres, en percevant le bien qu’il peut faire aux autres.
Vivre cela permet de réaliser sa destinée, de ressentir une profonde gratitude pour le monde divin qui nous accompagne et orchestre la mise en œuvre de notre chemin de vie.

Le par-don grâce au service
Le changement de la volonté, faite de peurs, d’habitudes et de comportements instinctifs, passe par l’amour de l’action, au service d’un idéal élevé, qui nous transcende.
Marie-Madeleine, par son onction sur la tête, désigne l’Élu, le roi véritable, en Esprit. Contrairement à Judas qui voulait faire du Christ le roi des Juifs, des hommes sur terre. Elle couronne le Christ comme on consacre les rois. Consacrer, c’est sacrer… avec le parfum pur de son cœur.
La définition de consacrer, c’est : « employer totalement, vouer quelque chose à. Vouer à Dieu ».
Nous touchons ici la notion spirituelle du service, qui consiste à sacraliser ses actes, en révélant et en offrant aux autres ce que l’on est profondément. Au final, cela consiste à spiritualiser la matière, puisque l’être humain, agit par amour, concrètement et consciemment, ce qu’il est en tant qu’être spirituel révélé.

La loi 3ème transcendée révèle l’espérance
Dévouement vient de devovere, devotus : vouer entièrement aux dieux ; et de devotio : vœu par lequel on se consacre aux dieux.
C’est l’action de se dévouer à quelque chose, disposition à servir. Le dévouement est en quelque sorte l’octave supérieur du service. Car en plus du service, il demande de mettre tout son cœur à l’ouvrage. Le dévouement total de soi passe par le fait de convaincre les autres que c’est possible. Convaincre, c’est vaincre avec… amour, nos peurs, nos doutes, nos démons.
Le dévouement naît de l’espérance, car Marie-Madeleine agit en sachant ce qui adviendra.
Purifier sa volonté, c’est s’oublier pour être totalement dévoué à son but spirituel. En ce sens, le travail élevé à l’amélioration de soi, puis au service et au dévouement, est créateur.
A l’extrême, le Christ nous en a montré le modèle en transformant son corps physique en corps de gloire. C’est la plus grande espérance qui soit, qui fait soulever des montagnes.
Dans la troisième onction, la transformation de la volonté est couronnée par l’espérance, dans lequel, fidèle à son cœur, l’individu offre à Dieu, et sur terre, ce qu’il a de meilleur en lui pour un idéal élevé. Transcender la recherche de la facilité par l’effort, c’est à dire le travail intérieur, est une action de grâce.
L’action de grâce manifestée par l’être humain dans sa volonté amène l’espérance.

Le modèle vécu par le Christ et l’image inversée
Pendant la troisième onction, Marie-Madeleine incarne le dévouement au divin, et prophétiquement, elle consacre le Christ « Roi en Esprit », en le couronnant avec le nard pur versé sur Sa tête, tel une auréole divine. Le Christ a ensuite porté la couronne d’épine, qui représente symboliquement le plein éveil, c’est à dire l’élévation de la nature spirituelle et de son lien au monde divin. Ce qui correspond à la transformation de la volonté, qui consiste à se révéler pour servir, et qui se manifeste dans le travail (3ème loi de l’incarnation). L’image inversée fut vécue par le Christ, au moment où la couronne d’épine fut posée sur Sa tête et qu’il fut tourné en dérision, puis traité de « Roi des Juifs », donc roi au service des hommes sur terre, par opposition à Sa véritable gloire, en tant que roi du ciel, célébrée auparavant par Marie-Madeleine.

IV – L’action de grâce pour sacraliser son quotidien

Travailler à bien penser, c’est le principe de la morale.
(Pascal)

Tout au long de notre vie, nous sommes accompagnés par le monde divin pour suivre notre destinée. Nous avons ensuite notre part de libre-arbitre dans notre façon de vivre les situations : rejouer les lois de l’incarnation, avec toutes les compensations et les dérives que nous connaissons, ou bien les transcender.
A chaque fois que l’on fait l’effort d’élever sa pensée, son sentiment ou sa volonté, notre nature spirituelle s’exprime, ce qui consiste à manifester le divin sur terre. A ce moment là, de même que le Christ était aux côtés de Marie-Madeleine et l’accompagnait dans ses onctions, on a l’impression de recevoir comme un surplus d’énergie : la grâce, c’est cela. D’où le nom : action de grâce.
La grâce est un don surnaturel que Dieu accorde en vue du salut, comme un supplément d’âme. Prendre conscience de cela renforce le sentiment de gratitude. D’ailleurs le mot « gratitude » signifie accueilli avec faveur, ou reconnaissant. Il vient du mot « grâce ». Il est donc normal d’éprouver de la gratitude quand nous recevons une grâce, c’est une conséquence naturelle…

A l’inverse, quand nous sommes dans les lois de l’incarnation, nous restons sous l’emprise des « forces des obstacles » qui nous tentent pour que nous restions sous le coup de ces lois, tant que nous ne sommes pas assez conscients et forts intérieurement pour nous redresser et les combattre.

Pour identifier, dans son quotidien dans quel camp l’on est, c’est simple : c’est une question d’état d’esprit, d’humilité, de gratitude, et surtout… d’ouverture du cœur. Quand on est coupé de son cœur, on peut très bien se donner l’illusion de servir alors que l’on est dans un comportement mécanique. A l’inverse, extérieurement, on peut bien donner l’impression de faire quelque chose de mécanique et pourtant le faire de manière sacrée et avec amour. Comme toujours, ce qui est important ce n’est pas ce que l’on fait, c’est l’état d’esprit dans lequel on le fait.

Au début, quand nous ne voyons que le mal (en soi ou à l’extérieur de soi), le réflexe humain est de rejeter en bloc le ver qui est dans le fruit, avec le fruit, au lieu d’enlever le ver du fruit. Nous rejetons l’autre, ou le monde si nous voyons le mal à l’extérieur. Nous nous dénigrons et nous nous renions, si nous voyons le mal en nous, sans pouvoir trouver d’issue. Nous restons alors dans la dualité : pour ou contre, noir ou blanc, ombre ou lumière, un ou deux, bien ou mal : ce que nous croyons être le bien étant la plupart du temps un mal qui en fait, nous arrange bien !

Être pour, c’est se soumettre. Être contre, c’est se rebeller
Dans les deux cas, c’est participer à des actes destructeurs, soit par procuration, soit par soi-même, mais en aucun cas on est créateur, car on n’apporte rien qui ne vienne vraiment de soi.
Dénoncer ce qui ne va pas dans le monde sans se remettre en question soi est irresponsable, car le problème vient toujours des autres. Cela consiste à projeter son problème à l’extérieur sans avoir à le régler en soi. Nous ne voyons pas le mal en nous, car nous nous voyons bien mieux que ça !
Nous retrouvons le piège dans lequel est tombé Simon le pharisien, dans la première onction… Bien sûr, il est important de dénoncer, à condition d’être capable de proposer quelque chose qui parle de remise en question individuelle.
La rébellion finit toujours par amener la violence, l’insécurité et la destruction, car nous restons toujours dans la dualité (Le pharisien ou Judas). Se rebeller dans le but de sauver le monde renforcera toujours le mal, car personne ne peut sauver le monde : seul chacun peut se sauver lui-même, ce qui, alors, sauvera le monde.

Ainsi, le philosophe et humaniste Edgar Morin affirme :
« Toutes les tentatives pour réformer la société à partir de structures ont échoué. Aujourd’hui, tout esprit manichéen, dogmatique ou fanatique va contribuer à quelque chose de pire que ce qu’il combat; ce type d’approche révolutionnaire pervertit non seulement la révolution elle-même mais aussi la société qui en résulte. (…) la réforme doit nécessairement passer par la réforme de l’individu : elle devient une auto-réforme.« 
Transversale Sciences Culture n°71 – Novembre – Décembre 2001.

La soumission ou la rébellion, qu’elles soient collectives ou individuelles continueront d’exister, bien quelles maintiennent dans l’arbre de la connaissance du bien et du mal, donc dans la dualité, tant que la troisième voie ne sera pas trouvée individuellement en soi. Et cela, aucun parti politique, aucune association humanitaire, aucun syndicat ne peut le faire pour les autres.
Sauver vraiment le monde ne peut venir que de la bonne volonté d’individualités, et non d’un quelconque pouvoir en place, aussi humaniste soit-il, car c’est à chacun de faire sa part de travail, de manifester sa destinée. Personne ne peut le faire à notre place. Ceux qui le prétendent nous mentent. Et ils sont nombreux à vouloir nous le faire croire !

L’onction ou action de grâce, pour sortir de la dualité
La seul issue est de passer à la lutte intérieure contre le mal. C’est la troisième voie, la voie de l’amélioration de soi. C’est la voie du Christ, présent en Esprit. Cette voie prend naissance dans le cœur, lorsque nous commençons à ressentir le sacré : c’est à dire l’aspiration au divin, au vrai bien, qui amène la paix et non la guerre, sans attendre que cela vienne des autres. Suivre la voie du Christ en soi, c’est être soi-même l’artisan de cette paix, par une libre remise en question de soi, qui conduit à la transformation du monde.
Cette voie est à saisir en soi pour acquérir la vraie liberté intérieure, créatrice, qui consiste à se révéler en transformant les lois de l’incarnation et passer alors, symboliquement, de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal (la dualité) à l’arbre de Vie (par l’action de grâce).

Une pensée individualisée nous permet de prendre conscience de ce qui est correct, ou moral et de ce qui ne l’est pas en soi, telle Marie-Madeleine dans la première onction : nous vivons alors le repentir. Alors seulement, nous commençons à sortir de la dualité et des lois de l’incarnation. Mais, comme le disent les grévistes : « ce n’est qu’un début, continuons le combat! », et j’ajoute : intérieur…

La troisième voie christique ne part pas d’une autorité quelconque, bien qu’elle soit inspirée, mais jamais imposée par le plan divin. Elle ne propose jamais LA solution à la souffrance humaine. Seuls des imposteurs, des faux Christ, que le Christ avait prophétisé dans sa petite apocalypse font cela, (Matthieu 24, 1-25).
Ce chemin de l’action de grâce, ou de l’onction, est accessible à chacun et nous le trouvons forcément le jour où nous choisissons d’œuvrer pour plus de paix et de fraternité dans le monde. Cela se fait par le long apprentissage de la responsabilité, où nous choisissons de renoncer à notre petit bonheur égoïste, sens vrai du sacrifice, pour se donner au monde, à l’image du Christ, et des apôtres qui l’ont servi, et de ceux qui le servent aujourd’hui.

Il est bouleversant de voir comment la destinée se met en place avec sagesse, comment les situations arrivent, comment les rencontres se produisent. La vie est une formidable aventure à découvrir.

Qu’une multitude d’êtres humains, de « pécheurs » à l’image de Marie-Madeleine, puisse reprendre contact avec ce qui leur est le plus cher dans leur cœur, afin de se diriger vers leur but, et ainsi vivre la joie, la chance de cette formidable aventure qu’est la transformation de soi, et du monde.

© Rosa Lise