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Marie-Madeleine, la pécheresse repentie

Noli Me Tangere, Correggio, 1525, Musée du Prado, Madrid
Noli Me Tangere, Correggio, 1525, Musée du Prado, Madrid

Marie-Madeleine, nommée « la pécheresse » dans les Évangiles, n’était pas consciente qu’elle faisait le mal. Elle en pris conscience en rencontrant le Christ, qui Lui, incarnait le bien. A mesure qu’elle connaissait le Christ et Son enseignement, son parcours de transformation se trouvait semé d’embûches : elle s’élevait, puis rechutait pour devenir de plus en plus consciente. Car plus elle connaissait le bien personnifié à travers le Christ, plus elle voyait le mal en elle, et plus elle avait envie de se dépasser, de le transcender par le sacrifice et le renoncement. Le Christ à ses côtés, l’a consolée, et l’a aidée à se délivrer de ses sept démons. On retrouve chez le Christ cet amour infini, cette compassion pour l’être humain qui se lève pour se battre et sortir de sa culpabilité d’être soumis au mal en lui.
Marie-Madeleine a laissé l’image de quelqu’un qui pleure tout le temps (d’où l’expression : pleurer comme une madeleine…). Ses larmes étaient celles du repentir, celles de la souffrance d’avoir mal agi, qui bascule dans le pardon, puis dans la gratitude de se sentir aidée, pour finir dans la joie de se transcender, d’agir le bien par amour pour son bien-aimé.

Marie-Madeleine était une femme riche qui se plaisait à porter de belles robes et de somptueux bijoux. Dans le tableau, nous voyons une Marie-Madeleine, sans apparat, ses longs cheveux blonds, défaits, sur ses épaules. Elle porte seulement une robe de couleur rose orangé, couleur du cœur et de l’amour. Son habillement reflète tout son parcours fait de dénuement, pour abandonner le factice et l’illusoire de sa vie matérielle. Sa simplicité nous montre l’aboutissement de son chemin de conversion. Marie-Madeleine rayonne de sa seule beauté intérieure et de sa sainteté. Sa foi, sa dimension de repentir ainsi que le sacrifice de ses désirs l’ont amenée au dépouillement le plus total de sa personnalité égoïste. Marie-Madeleine a renoncé au luxe de sa vie mondaine pour l’amour du Christ. C’est pourquoi elle a pu voir le Christ : parce qu’elle avait un cœur pur. Elle, couramment représentée comme la pécheresse repentie, a pu voir le Christ, alors qu’elle était considérée comme un exemple honteux de luxure. Malgré ses péchés, ses imperfections, il lui est permis d’être la première à voir le Christ ressuscité. C’est pourquoi, le pêcheur qui vit en chacun de nous, se sent si proche d’elle. Dans sa vision du Christ, Marie-Madeleine apporte la note féminine de la conversion, par la purification des désirs et du sentiment. Elle est le modèle de la rédemption, à la portée de tout être humain.

1) Le péché

L’archétype de la culpabilité inconsciente est incarné par Adam et Eve, à travers le péché originel qui a amené la Chute de l’humanité dans la matière. Leur acte inconscient de goûter au fruit défendu, a engendré la servitude aux lois de l’incarnation (travail, souffrance, mort) ainsi qu’une idéalisation du pouvoir divin, qui entretient la croyance que seul, Celui qui nous a ôté le paradis peut nous le rendre.
Péché, du latin peccare, signifie « broncher, faire un faux pas » d’où commettre une faute, une erreur. Peccatum : qui signifie « action coupable » amène la connotation de la culpabilité. Pourquoi le mot « pécheur » est aussi celui du « pécheur de poissons ». Le verbe « pécher » signifie « rater sa cible, son but« , ce qui nous sort un peu de la croyance judéo-chrétienne culpabilisante…
Partons de la métaphore que la mer est notre inconscient. Hors de la mer, hors de notre inconscient, nous ne voyons pas les poissons qui s’y trouvent. Nous les voyons quand nous les sortons de l’eau : le mal est péché. Alors nous portons le mal dans la lumière, c’est à dire à notre conscience. Les premiers disciples du Christ étaient des pécheurs. Le Christ en a fait des pécheurs d’hommes. Ceux-ci ne péchaient plus les poissons, mais les hommes de bonne volonté qui choisissaient de prendre conscience du mal pour le convertir en bien.
En contrepartie de la Chute, l’accès à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, a procuré à l’humanité le libre-arbitre, c’est à dire un début de conscience de soi, grâce à la faculté de se poser la question : est-ce bien ou mal ?
Ce qu’il reste de la Chute à notre époque, c’est la capacité de choisir entre le bien ou le mal, pour progressivement transcender les lois de l’incarnation causées par la Chute. Si nous n’utilisons pas ce choix, nous restons dans l’inconscience de l’ancien Éden, en quête du paradis perdu : par les paradis artificiels, virtuels, ou sur terre, à travers le bonheur éprouvé au moyen des sens physiques, qui adoucissent les dures lois de l’incarnation…
Nous entretenons alors notre culpabilité inconsciente d’avoir chuté et de ne pas assumer notre mission de sacraliser les lois de l’incarnation. A notre époque, la société de consommation, matérialiste par nature, nous « aide » à anesthésier notre souffrance coupable. Elle offre à l’être humain tous les biens et services lui permettant de s’évader dans de nouvelles sensations physiques agréables, ce qui revient au final, à échapper aux conditions difficiles de l’incarnation. C’est une fuite de la responsabilité humaine par recherche de la facilité, qui de surcroît, permet de « faire de l’argent ».
Nous vivons cette culpabilité inconsciente d’Adam et Eve, quand nous sommes dans le non-choix, c’est à dire à chaque fois que nous agissons par automatisme, comme tout le monde, sans s’être posé la question auparavant, en étant sincère avec soi-même : pourquoi ? Qu’est-ce que cet acte va m’apporter ? quel intérêt pour moi ? pour les autres ? Nous sommes certains de faire ce qui est bien : puisque tout le monde le fait ! Pourtant la culpabilité est latente, puisque nous cherchons à nous donner bonne conscience. Nous restons alors soumis à l’autorité de l’ordre établi, à chaque fois que nous agissons sans chercher à connaître le sens de notre acte. Ce pouvoir du libre-arbitre que nous avons, si nous ne l’utilisons pas, d’autres l’utilisent à notre place…

2) La culpabilité

La culpabilité devient consciente quand nous accédons à la connaissance du bien et du mal, et que nous observons que nous avons mal agi. Mais nous ne trouvons pas d’issue, ni l’espérance de nous en sortir par nous mêmes. Alors, il existe trois conséquences possibles pour trouver un exutoire à cette souffrance morale, ce poids que nous avons sur la conscience :

  • Demander l’absolution : Si notre responsabilité est vraiment flagrante, nous allons reconnaître les dommages que nous avons causés aux autres, et demander pardon à autrui ou à Dieu (parce que nous ne parvenons pas à nous pardonner nous-mêmes). Nous remettons alors notre problème entre les mains d’une autorité extérieure. Ce qui nous laisse passifs, en position de demande à l’égard de Dieu et soumis aux lois des dix commandements de l’Ancien Testament. La position à genoux, en positif, sert pour prier et demander pardon pour nos péchés en baissant la tête. C’est une position de recueillement, de prière, qui force l’humilité. En négatif, cette position exprime la soumission au divin, qui implore et demande passivement l’absolution pour les fautes que nous avons commises et dont nous nous sentons coupables. A l’extrême, cette position peut-être utilisée pour humilier autrui. La dérive de l’humilité est l’humiliation, comme une manifestation de la honte que nous portons en nous, ou que nous avons fait aux autres. Lorsque nous sommes « à genoux » intérieurement, nous restons soumis à l’autorité divine, ou autre.
    Nous reproduisons ce comportement coupable dans tous les secteurs de vie : dans les relations adulte-enfant, vis à vis de nos parents, de notre conjoint, de notre chef au travail, ou de toute autre personne qui a le pouvoir d’exercer un ascendant sur nous-mêmes. Nous le voyons en juge, et non comme le porteur d’un message sur notre chemin de vie. Cela n’entraîne que le reniement de soi, la désespérance, voire la destruction, car nous ne nous sentons pas autonome et responsable de notre vie, ni même capable de créer quelque chose de Bien, de Beau, de Vrai. A l’extrême, nous ne voyons dans le monde que le mal, la laideur, le mensonge, et nous attendons qu’un pouvoir extérieur nous rédempte et trouve une solution qui nous sécurise.
  • Le rejet : La conséquence la plus facile consiste à rejeter la cause du mal, ou la responsabilité sur autrui, pour se libérer de ce poids. Nous cherchons alors à trouver des explications extérieures à nos actes et nous projetons sur autrui notre responsabilité, sans avoir à se remettre en question. Au niveau de la société, cela se traduit par de la violence et de la rébellion contre le pouvoir en place. Pour éjecter le mal de leur conscience, certains rejettent les conventions de cette société qui juge et condamne. Par exemple, en devenant athée, ou rebelle, ou bien encore en vivant en marge de la société. A l’extrême, nous retrouvons les extrémistes ou ces anarchistes qui proclament : « Ni dieu, ni maître ». C’est une manière inconsciente de reprocher à l’ordre divin de nous avoir fait chuter, et de refuser les lois de l’incarnation, en cherchant à renverser le pouvoir en place, pour gouverner à sa place, en se disant que, de toute façon, cela ne pourra pas être pire…
  • L’auto-destruction : Si nous n’obtenons pas ce pardon de l’extérieur, ou si nous ne le demandons pas, nous allons devoir vivre avec ce poids sur la conscience qui va finir par nous ronger, tel un poison, jusqu’à l’auto destruction (maladie plus ou moins grave, suicide) selon le niveau d’intensité de culpabilité éprouvé. A l’extrême, ce fut le cas de Judas, qui a livré le Christ et qui a pris conscience des conséquences de son acte après coup. La seule délivrance, pour lui, a été de se suicider, ne parvenant pas à trouver la paix dans sa conscience. Nous voyons donc à quel point la culpabilité peut être destructrice.

Dans les trois cas, nous occultons notre propre responsabilité, car nous restons dans l’attente qu’une « justice » extérieure trouve une solution pour nous. Tant que nous ne nous pardonnons pas pour cela, nous ne nous acceptons pas tels que nous sommes avec nos imperfections. Nous renions notre dignité d’être humain et nous occultons notre capacité à faire le bien. Alors que le Christ ne s’arrête pas au mal fait, mais s’intéresse davantage au potentiel de bien que nous pouvons manifester sur terre, par la faculté de transformation et de rédemption qu’Il nous a apporté. Nous ne sommes pas indigne parce que nous avons mal agi, mais parce que nous ne voulons pas reconnaître notre responsabilité.

3) Le repentir et le pardon

La troisième voie, le repentir, est la seule issue à la culpabilité, grâce à la responsabilité, voie royale de la liberté intérieure, dont Marie-Madeleine est l’archétype. Dans sa vie, Marie-Madeleine a récapitulé tous les façons de vivre la culpabilité : inconscience, soumission, rébellion, destruction, fuite etc. jusqu’à expérimenter l’unique espérance, la seule manière christique d’en sortir vraiment en s’élevant : le repentir, source de salut et de liberté.

  • La compréhension et l’acceptation : Nous saisissons le mal que nous portons ou que nous avons fait au moment où, par opposition, nous sommes amenés à voir le plus grand bien. Nous voyons alors que le problème est réellement en nous. Et nous le comprenons. De là naît la responsabilité. Nous vivons intérieurement un choc qui déclenche un début de retournement de conscience : le repentir se fait jour. A ce moment-là, la créature misérable que nous étions devient un être humble, qui contemple et accepte ce qu’il a fait. Une telle prise de conscience nous ouvre le cœur, car nous ressentons également toute la peine, la dimension de la souffrance que nous avons pu causer à autrui et à Dieu. Comment ai-je pu agir ainsi ? Cette souffrance génère les larmes du repentir. Alors enfin, nous trouvons le pardon en nous-mêmes : au lieu d’attendre que Dieu ou quelqu’un nous pardonne, nous nous pardonnons pour ces « fautes » qui deviennent alors erreurs, ou mieux, expériences de la vie. Nous allégeons ainsi notre conscience de ce poids que nous avions dans le cœur.
  • Le renoncement ou sacrifice : l’acceptation pleine et entière, et la souffrance ressentie par le mal causé à autrui, génère inévitablement l’envie de changer, de compenser le mal qu’on a fait par le bien. Nous savons en notre for intérieur que c’est possible et que cela ne dépend que de nous. Cette compensation se manifeste par le choix de renoncer à quelque chose (affection, reconnaissance, pouvoir, possession, etc.). Nous passons par une petite mort, celle de notre égoïsme, que nous sacrifions. Ainsi, nous sacralisations le mal, par ce travail fait sur soi de transformation du mal en bien, et nous éprouvons une souffrance purificatrice.
    Ainsi, à l’échelle macrocosmique, le Christ a vécu le sacrifice pour offrir la résurrection au monde. De nos jours, le sacrifice a encore trop la connotation négative de l’Ancien Testament. Il sous-entend : l’acte de tuer pour faire une offrande, l’abnégation ou reniement de soi, dans le but de compenser le mal que nous avons fait, donc pour être pardonné. Le sacrifice, vu en négatif, est très porteur de culpabilité. Pourtant, il n’en est rien. D’un point de vue christique, le sacrifice signifie que le Christ a sacralisé la terre et la matière, en s’offrant lui-même en Sacrifice. Il abolit les rites de sacrifices de l’Ancien Testament. Dans le sens de « rendre sacré », « sacraliser », cela signifie que l’être humain n’a plus à tuer des animaux pour les offrir à Dieu. C’est à lui de s’offrir en sacrifice en se sacralisant, en se transformant pour retrouver sa nature divine, l’exprimer et l’offrir aux autres.
  • La consolation : dans notre processus de transformation, nous pouvons ressentir le soutien du Christ ou de l’ange, son messager. Nous sommes soutenus, aidés et accompagnés, par le monde divin qui partage avec joie et amour notre effort de transcendance.
  • Le don de soi ou créativité : toute l’énergie qui avait été mise par le passé dans le mal, devient une force de bien rayonnante dans notre cœur, qui ne demande qu’à s’offrir aux autres, par-don. Grâce au repentir, le bien a jailli en soi. Surgit alors la vision claire, et l’impulsion de ce que nous pouvons apporter de bien aux autres. Nous découvrons quelque chose de nouveau, une facette jusqu’alors inconnue de nous-mêmes. Nous vivons ensuite une phase nécessaire d’apprivoisement, pendant laquelle nous cultivons ce bien, afin d’arriver à voir concrètement ce que nous pouvons en faire. A mesure qu’il se construit, ce bien s’accompagne naturellement d’un élan de don, car le bien ne peut que se donner, se partager. Il s’agit alors de trouver le bon moyen de le manifester aux autres, tout en respectant leur liberté.
  • La liberté par la résurrection : le repentir est une mini-résurrection intérieure, qui se termine par la manifestation du bien, donc qui profite aux autres, et au sens le plus large : à l’humanité. Nous ressentons cette liberté intérieure grâce à cette sensation d’émerveillement et de neuf qui émerge de notre cœur. Par ces résurrections successives, nous devenons plus conscients de nous en tant qu’individualité, de ce que nous avons à faire sur terre. Nous trouvons un sens à la vie. C’est une manière de devenir créateur sur terre, à notre échelle, et à l’image de Dieu.

Ainsi, en imitant Marie-Madeleine, même à notre petite échelle, nous imitons le Christ…

Le grand défi pour chacun est donc d’apprendre à sortir de la culpabilité de la Chute qui amène la destruction et la mort, pour vivre le repentir et le pardon , puis construire ainsi son futur, en étant debout, et responsable.
En ce sens, le repentir est source de renaissance, il fait naître le nouvel Adam en soi, l’Adam du futur.

© Rosa Lise


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