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Marie-Madeleine, témoin du Christ ressuscité

« Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine. » (Saint Paul)

Noli Me Tangere, 1440-41, Fresque, 180 x 146 cm, Convent de San Marco, Florence
Noli Me Tangere, 1440-41, Fresque, 180 x 146 cm, Couvent de San Marco, Florence

L’apparition à Marie

Quant à Marie, elle se tenait près du sépulcre et pleurait. Tout en pleurant, elle se pencha vers la tombe; et elle voit deux anges, vêtus de lumière, et assis l’un du côté de la tête, l’autre du côté des pieds, à l’endroit où avait été posé le corps de Jésus.
Ils lui disent : -« Femme, pourquoi pleures-tu ? »
Elle leur dit : -« On a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l’a mis. »
Ayant dit cela, son être se tourne vers ce qui est derrière ; et elle voit Jésus debout et ne sait pas que c’est Jésus.
Jésus lui dit : -« Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches- tu »
Elle, pensant qu’il est le jardinier, lui dit : -« Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et moi je le prendrai. »
Jésus lui dit : -« Marie ! »
Elle, toute retournée, lui dit en hébreu : -« Rabbouni! » C’est-à-dire : Maître !
Jésus lui dit : -« Ne cherche pas à me retenir, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va vers mes frères et dis leur : Je monte vers mon Père, qui est aussi votre Père, mon Dieu et votre Dieu. »
Marie de Magdala s’en va annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et qui lui a parlé ainsi.

(Jean, XX, 11 – 18)


Sommaire

Que signifie Pâques ?
Le tableau de Fra Angelico
Le contexte
Le décor
La rencontre
Marie-Madeleine, témoin de la résurrection
Le Christ ressuscité
Le message global du tableau
Le sens de la résurrection
Comment rencontrer le Christ ?
A chacun je l’annonce, il est vivant !
Sources d’inspiration et de documentation


Il est un moment où l’homme doit aller
au bout de sa liberté et « accomplir les choses »
parce qu’elles ont du sens pour lui.

J-Loup Dherse – Dom Hugues Minguet
(L’Éthique ou le Chaos ?)

Pour étudier Pâques et la résurrection, j’ai choisi le tableau de Fra Angelico, le « Noli me tangere », qui représente la rencontre de Marie-Madeleine avec le Christ ressuscité, le jour du Dimanche de Pâques. Ce tableau sera en quelque sorte, le fil conducteur du présent exposé.

Que signifie Pâques ?

La Pâque, qui signifie « passage », est fêtée par le peuple juif. Celle-ci fait référence au passage de la mer morte par Moïse et son peuple,
La passion du Christ et la résurrection se sont produits pendant la semaine sainte de la Pâque. Depuis, les chrétiens fêtent la Pâque, c’est à dire le passage de l’Ancien Testament au Nouveau Testament, avec comme acte central la Mort-Résurrection du Christ. D’ailleurs pour bien marquer ce passage, lors de la cène, le Christ a repris tous les rites de la fête juive pour les transformer et apporter un nouveau rituel, repris dans la messe par les chrétiens. Désormais, Pâques s’écrit au pluriel, puisqu’il existe deux fêtes de Pâque, c’est à dire deux passages différents.
Pâques, c’est donc la fête de la lumière, car celle-ci célèbre la victoire de la lumière sur la matière, à un moment de l’année où la lumière des jours augmente, alors que la nuit diminue. En cela, Pâques inaugure également l’arrivée du printemps et le renouveau.

Le tableau de Fra Angelico

– Le contexte

Nous sommes le dimanche de Pâques. Juste avant le lever du jour, Marie-Madeleine vient au sépulcre et découvre que la pierre qui en fermait l’entrée est déplacée. Elle entre dans le tombeau et constate que celui-ci est vide. Elle traverse alors la ville pour aller annoncer cela aux disciples. Pierre et Jean reviennent avec elle et contemplent à leur tour le tombeau vide. Ils comprennent alors que la prophétie se réalise. Il quittent ensuite le lieu et Marie-Madeleine reste seule en pleurant. Nous approfondirons plus loin quelle est la nature de ses larmes en étudiant son personnage.
La scène du tableau de Fra Angelico se passe à partir du moment où Marie-Madeleine se retrouve seule au sépulcre.
Dans son Évangile, Jean écrit :
« Quant à Marie, elle se tenait près du sépulcre et pleurait. Tout en pleurant, elle se pencha vers la tombe; et elle voit deux anges, vêtus de lumière, et assis l’un du côté de la tête, l’autre du côté des pieds, à l’endroit où avait été posé le corps de Jésus. » (Jean, XX, 11)
Le texte indique qu’elle entre dans le tombeau en se penchant. Cette position signifie qu’elle entre en prière, en recueillement, à l’intérieur du tombeau. La grotte du tombeau symbolise le sas qui permet le passage du monde physique au monde divin. Dans le tombeau, Marie-Madeleine est donc totalement recueillie, comme en méditation. L’expérience qui est décrite se vit non pas à l’extérieur, mais dans son monde intérieur. Elle qui a reçu l’enseignement du Christ connaît la grandeur de ce qui est sur le point de se réaliser. Elle sait que le Christ vit son « Passage », c’est à dire la victoire sur la matière et sur la mort. Cette connaissance conjuguée à ses capacités spirituelles lui permettent de vivre cette expérience de la résurrection.
Emil bock exprime ce qui se passe dans le cœur de Marie-Madeleine avec une force poétique éloquente : « Elle s’abandonne entièrement aux sentiments d’amour et de peine liés à Celui qui lui a été arraché (…). Plus elle ressent Sa grandeur (de celui qui a passé par la mort), plus son amour augmente. Et c’est cet amour qui ouvre les yeux de son âme. Pendant que ses yeux physiques sont embués de larmes, son regard spirituel s’éveille à travers les pleurs et elle perçoit deux présences. »

Elle perçoit d’abord deux anges vêtus de blanc, les messagers de la résurrection. Elle entend la question :

« Femme, pourquoi pleures-tu »
Elle leur dit : « On a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l’a mis. »

Dans sa connaissance de l’événement qui est en train de se produire, elle se demande où est le Christ ressuscité en cet instant, son corps physique ayant disparu.
C’est ensuite qu’elle en aura la réponse, par la rencontre…

– Le décor

Le décor du tableau confirme en plusieurs points que la scène est une expérience intérieure qui se produit dans le monde divin :

– L’arrondi en haut du tableau évoque la voûte céleste
– Marie-Madeleine devant l’ouverture du tombeau montre qu’elle a franchi le sas, c’est à dire le seuil du monde divin. D’ailleurs le rocher autour de l’ouverture, comme sculpté en arrondis, indique que les formes ne sont pas clairement définies et droites, comme c’est le cas dans le monde physique. C’est aussi la raison pour laquelle Marie-Madeleine ne reconnaîtra pas le Christ aussitôt.
– Le monde de l’invisible, est symboliquement représenté par la végétation, présente dans tout le tableau : les herbes au sol, les quelques arbres au premier plan et la forêt au fond, séparée par une sorte de clôture en paille.
– Les arbres évoquent l’arbre de vie, qui avait été retiré à Adam et Eve lors de la Chute. Ils n’eurent plus accès qu’à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, pour expérimenter le libre-arbitre, le choix entre le bien et le mal, dans le monde physique, incarné. L’absence de l’arbre de vie s’est manifesté par les conditions de l’incarnation à transcender : le travail, la souffrance et la mort. Dans le tableau, le Christ a ramené à l’arbre de vie à l’être humain. Cinq arbres différents sont représentés. Le cinq symbolise l’être humain debout et réalisé (tel le Pentagramme de Léonard de Vinci). Tandis que le quatre représente la croix de la matière et ses quatre branches, ou la condition animale et instinctive présente en l’homme : l’animal marche à quatre pattes, dans une posture et horizontale.
– La forêt en arrière plan, peut représenter la communauté humaine, ou l’humanité, qui attend et espère l’arbre de vie. Cet Arbre ne lui est pas accessible pour le moment, d’où la clôture, mais il est là en potentiel, puisque la résurrection qui ce joue en cet instant, dans la scène, est toute proche de la forêt.

– La rencontre

Les mains éloignées des deux personnages, sont au centre du tableau : « noli me tangere » : il n’est pas possible qu’elles se touchent maintenant. Cette image des deux mains proches rappellent le tableau de Michel Ange « La création d’Adam », où le Créateur insuffle la vie à Adam, par le contact des doigts. Nous savons ensuite que la Chute, voulue par le monde divin pour que l’être humain expérimente la matière et conquière la liberté, a privé l’humanité de la l’arbre de vie, c’est à dire la vie éternelle. Or, si le Christ ramène l’arbre de vie à l’humanité, cela ne se fera pas dans les mêmes conditions que lors de la Création : c’est à l’être humain de choisir cette vie éternelle, qui le libère de sa condition physique matérielle. Nous verrons plus loin comment cela est possible concrètement.
Le fait que Marie-Madeleine puisse voir et entendre dans le monde de l’invisible montre toute son évolution vécue auprès du Christ. L’évangile de Jean précise en effet qu’elle se « retourne » par deux fois, ce qui signifie que dans un premier temps, elle retourne sa pensée, ce qui lui permet de voir, et dans un deuxième temps, elle retourne son sentiment, ce qui lui permet d’entendre, grâce à la contemplation et à l’écoute silencieuse.

« Ayant dit cela, son être se tourne vers ce qui est derrière ; et elle voit Jésus debout et ne sait pas que c’est Jésus. »

Marie-Madeleine effectue son premier retournement. Elle sort du tombeau et voit le Christ au dehors : elle franchit le seuil du monde divin, reconnaissable également par la végétation. Le Christ, qui revient seulement du monde des morts, n’est pas visible dans le même aspect que son corps physique, c’est pourquoi Marie-Madeleine le perçoit mais ne le reconnaît pas encore.

Jésus lui dit : – « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? »« 

Ici, le Christ est le consolateur, il invite Marie-Madeleine à élever encore sa compréhension de la disparition du corps de Jésus.
Elle, pensant qu’il est le jardinier, lui dit : – « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et moi je le prendrai. »
Sans Le reconnaître dans un premier temps, Marie-Madeleine perçoit la présence du Christ, sous l’apparence d’un jardinier. Il porte une bêche sur son épaule. Marie-Madeleine accueille cette nouvelle image en elle, riche d’une profonde signification, comme le souligne Emil Bock : « Le Ressuscité est vraiment le Jardinier d’un jardin nouveau ; c’est une végétation nouvelle qu’il sème, repique et cultive sur notre terre; »

Jésus lui dit : -« Marie ! »

Jusqu’ici, le Christ s’est adressée à Marie-Madeleine, en la nommant « Femme ». A présent, il la nomme par son prénom : Marie-Madeleine individualise son expérience spirituelle, ce qui provoque chez elle un deuxième retournement de la conscience, qui lui permet de reconnaître le Christ à son tour :

Elle, toute retournée, lui dit en hébreu : -« Rabbouni! » C’est-à-dire : Maître !

Marie-Madeleine effectue son deuxième retournement. Elle a une position, presque à genoux, tout en s’élevant et en se penchant, comme pour se rapprocher de Lui. Cette représentation exprime l’élan intérieur que vit Marie-Madeleine de s’unir au Christ de nouveau. Comme au temps où Il était près d’elle, fait de chair et d’os.
Nous en arrivons au moment précis de la scène du tableau, le « Noli me tangere » qui signifie, selon les traductions, « ne me touche pas », ou « ne cherche pas à me retenir » :

Jésus lui dit : -« Ne cherche pas à me retenir, car je ne suis pas encore monté vers le Père ».

Au cours de son évolution Marie-Madeleine a déjà franchi plusieurs étapes qui lui permettent de voir et d’entendre le Christ, mais pas encore de Le toucher.
Dans le tableau, nous pouvons percevoir le mouvement : une sorte d’écharpe flotte derrière l’épaule du Christ. Et nous percevons également les deux personnages en mouvement : Marie-Madeleine qui dans un élan s’approche du Christ, les bras ouverts pour une céleste accolade; et le Christ, faisant un pas en avant (vu de face, Ses pieds semblent se croiser, comme quelqu’un qui marche). Le « toucher » spirituel se produira plus tard : par la suite, Marie-Madeleine recevra les enseignements du Christ, au cours desquels elle vivra ces extases d’amour mystique telles que l’ont vécu et relaté nombreuses saintes mystiques par la suite, comme par exemple, Thérèse d’Avila.

-« Mais va vers mes frères et dis leur : Je monte vers mon Père, qui est aussi votre Père, mon Dieu et votre Dieu. »

Le Christ ressuscité s’est montré en premier à Marie-Madeleine, en cela, il fait d’elle, celle qu’on appellera ensuite « l’apôtre des apôtres », ou l’apôtre de la lumière. Elle est celle qui a saisi en elle le mystère de la résurrection, de la victoire de la lumière sur la matière. Elle est aussi celle qui, ensuite, encouragera les apôtres à témoigner du Christ (voir son écrit « l’Évangile de Marie »). Dès lors, le Christ lui signifie ce rôle, en l’envoyant annoncer Sa résurrection et la bonne nouvelle : Dieu le Père, est depuis ce jour, non seulement le Père du fils, le Christ, mais aussi le Père des être humains, puisque le Christ s’est fait entièrement homme, jusqu’à vaincre la mort et les conditions de l’incarnation, et qu’il est redevenu être divin à part entière. Tel est la mission des apôtres, de faire connaître au monde cette formidable espérance.

« Marie de Magdala s’en va annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et qui lui a parlé ainsi« .

Marie assume ce rôle qui lui est confié en allant annoncer aux disciples qu’ils allaient voir prochainement le Ressuscité. Le Christ les enseignera durant quarante jours, montera au ciel près de Son Père, lors de l’Ascension, puis leur donnera les dons de l’Esprit Saint, lors du Baptême du Feu de la Pentecôte, dix jours après.

Voyons maintenant, le parcours réalisé par Marie-Madeleine, pour en arriver à devenir « l’Élue », celle à qui il fut donné de vivre

    – Marie-Madeleine, témoin de la résurrection

    Marie-Madeleine était une femme riche qui se plaisait à porter de belles robes et de somptueux bijoux. Dans le tableau, nous voyons une Marie-Madeleine, sans apparat, ses longs cheveux blonds, défaits, sur ses épaules. Elle porte seulement une robe de couleur rose orangé, couleur du cœur et de l’amour. Son habillement reflète tout son parcours fait de dénuement, pour abandonner le factice et l’illusoire de sa vie matérielle. Sa simplicité nous montre l’aboutissement de son chemin de conversion. Marie-Madeleine rayonne de sa seule beauté intérieure et de sa sainteté, représentée par l’auréole dorée autour de sa tête. Sa foi, sa dimension de repentir ainsi que le sacrifice de ses désirs l’on amenée au dépouillement le plus total de sa personnalité égoïste. Marie-Madeleine a renoncé au luxe de sa vie mondaine pour l’amour du Christ. C’est pourquoi elle a pu voir le Christ : parce qu’elle avait un cœur pur. Elle, couramment représentée comme la pécheresse repentie, a pu voir le Christ, alors qu’elle était considérée comme un exemple honteux de luxure. Malgré ses péchés, ses imperfections, il lui est permis d’être la première à voir le Christ ressuscité. C’est pourquoi, le pêcheur qui vit en chacun de nous, se sent si proche d’elle. Dans sa vision du Christ, Marie-Madeleine apporte la note féminine de la conversion, par la purification des désirs et du sentiment. Elle est le modèle de la rédemption, à la portée de tout être humain.

    En fait, le Christ, Lui ne juge pas. Il voit l’être tel qu’il est. Et il se montre à l’individu dans l’instant où celui-ci a son cœur pur et ouvert. Il l’avait d’ailleurs enseigné dans les Béatitudes : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu » (Matt V, 8) C’est ce qui se produit pour Marie-Madeleine. Le Christ vient à sa rencontre et la reconnaît, car en cet instant, elle-même est pleinement dans sa nature divine et pure. Elle est sereine, elle n’a aucune crainte. Elle est en confiance totale face au Christ. Un tel état demande un haut niveau d’évolution. Car, avec notre cortège de péchés et le poids de la culpabilité, qui nous conditionnent depuis la Chute, combien sommes-nous à nous considérer digne de Son sacrifice?

    Dans tous les tableaux représentant le « Noli me tangere », il se dégage de Marie-Madeleine une sorte de joie, d’élan enthousiaste et émerveillé, rempli d’amour pour le Christ. Marie-Madeleine exprime une dévotion à la fois douce et ardente pour Sa Bonté manifestée. Elle pose sur le Christ un regard pur, innocent, mais aussi connaissant du « miracle » qu’elle est en train de vivre. Elle sait qui Il est, et elle connaît la portée du sacrifice qu’Il a vécu jusqu’à la Résurrection. Elle pose sur le Christ un regard qui Le com-prend : elle saisit en elle réellement ce que cette manifestation représente dans son essence. Elle a face à elle le Christ dans Son Corps de Gloire. C’est à dire le futur de l’humanité, source d’une grande espérance : la représentation de l’être humain en devenir, totalement affranchi de la matière et de l’incarnation. Elle « embrasse » l’archétype de la Liberté. Par Amour et par Son sacrifice, le Christ a offert le potentiel de liberté à l’être humain de transcender les lois de l’incarnation. Cela signifie que le Christ nous ramène l’arbre de vie en potentiel. Et c’est aussi cela que Marie-Madeleine contemple. Dans la scène du « Noli me tangere« , l’amour exprimé par Marie-Madeleine, et la liberté, manifestée par la résurrection du Christ, sont ré-unis.

    Dans son élan de pure passion, nous la voyons dans cette scène tendre les bras vers le Christ, comme pour aller l’embrasser. Et le Christ lui dit le fameux « Noli me tangere » : « Ne cherche pas à me retenir, car je ne suis pas encore monté vers mon Père ». Le Christ lui dit que c’est trop tôt. Cela signifie également que désormais, ils s’aimeront différemment : d’un amour spirituel. Marie-Madeleine est à la fois confiante et offerte : elle ne veut pas le posséder, seulement l’aimer.

    Marie-Madeleine n’est pas dans la position à genoux de prière ou de demande à l’égard du divin. Au stade où elle en est dans son vécu spirituel, elle est dans une posture d’action. Elle a la position du chevalier à genoux avec un pied à terre, prêt à être adoubé. C’est la position du service et du dévouement au divin. C’est une posture de responsabilité dans laquelle elle s’apprête à se lever en levant la tête, pour embrasser son idéal. Par son vécu, elle incarne la rédemption (qui fait suite au repentir) obtenue par son choix et par la seule force de sa volonté, par amour pour son idéal, incarné par le Christ, la volonté de bien sur terre.

      – Le Christ ressuscité

      Le Christ, devenu le jardinier de la terre, est resplendissant dans Sa robe de lumière, qui symbolise Son corps de gloire. Une auréole avec une croix entoure Sa tête, c’est la croix de l’agneau de Dieu, qui s’est offert en sacrifice pour l’humanité : Il a sacralisé la condition physique humaine, montrant ainsi qu’il est possible pour l’être humain de transcender la matière.

      Le Christ porte une binette sur l’épaule. Il est là pour prendre soin de la Terre, enlever les mauvaises herbes qui jonchent le sol, afin que l’être humain puisse croître. La représentation du Christ dans ce tableau est une image de la vie éternelle, et une guérison de sa contre-image : celle la mort, grande faucheuse, avec la faucille sur l’épaule, prête à ravir des vies humaines. En descendant dans les enfers, le monde des morts, Il a apporté une vision lumineuse de la mort au monde, emplie d’espérance en la Vie éternelle, possible grâce à la résurrection.

      Le Christ rayonne la compassion et le pardon qu’Il accorde aux pécheurs et dont Marie-Madeleine, la pécheresse repentie est l’archétype. C’est ce que le Christ contemple en la personne de Marie-Madeleine : la somme d’efforts et de sacrifices qu’elle a faits par amour, au point de lui permettre de Le rencontrer maintenant, au-delà de la mort.

      Bien sûr, le Christ n’est pas visible dans Son corps physique, mais dans Son corps de gloire.

      La résurrection, au même titre que la création, est l’un des plus grands mystères qu’ait pu connaître l’humanité. Comment cela est-ce possible ? S’agissant du monde suprasensible, la science qui étude la matière ne pourra jamais rien prouver. Tout repose sur la foi intime qu’un être macrocosmique qui a créé les mondes, peut tout sur sa création ; au début, pendant et jusqu’à la fin. Cela demande à être éprouvé en soi, dans une grâce que l’on reçoit à un moment de sa vie : par quelque chose qui nous touche jusqu’au tréfonds de notre être, une rencontre forte, la contemplation d’une œuvre d’art, l’écoute d’un texte ou d’une musique sacrée, etc. Tout ce qui peut réveiller la part divine qui sommeille dans notre cœur. A tel point que cette expérience forge en nous une certitude, qui devient foi. Ensuite, nous avons le choix d’oublier notre foi, de la renier ou de la faire croître en nous-mêmes. Nous pouvons aussi nous retrouver pour la partager, en témoigner. Tout repose sur la liberté humaine.

      Dieu le Fils, le Verbe créateur de l’origine, a créé l’univers, la terre et les hommes et il les accompagne jusqu’à la fin au point même d’être venu au centre Sa création, lors de Son passage sur terre. En ce sens, dans l’Apocalypse de Jean, Il dit : « Je suis l’Alpha et l’Oméga ».

      – Le message global du tableau

      Dans cette rencontre, tandis que Marie-Madeleine symbolise le chemin à faire pour l’être humain afin de retrouver progressivement sa nature divine et la manifester sur terre, le Christ symbolise l’aboutissement de ce chemin de ce qui se produira pour l’humanité à la fin du monde. C’est pourquoi Il a dit : « Je resterai avec vous jusqu’à la fin des temps ». (Mt 28, 20)

      Ce qui est le plus important, ce n’est pas le but (devenir plus conscient de soi), mais ce qui permet de l’atteindre, c’est à dire les efforts faits (le chemin par la voie du repentir), le travail, au sens noble du terme, de transformation réalisé en soi. C’est ce qui fait du chemin christique une voie sacrée, car les efforts du pécheur qui se transcende, suscitent la consolation et la compassion du Christ. C’est à mon sens, le message principal de l’œuvre de Fra Angelico, qui met en présence le microcosme avec le macrocosme : Marie-Madeleine, l’humanité au présent, la pécheresse repentie sur le chemin de la liberté et la résurrection, face au Christ, l’aboutissement du chemin, c’est à dire notre futur ultime.

        Le sens de la résurrection

        Pourquoi est-ce une femme qui rencontre en premier le Christ ressuscité ?
        Probablement parce que l’évolution humaine passe par un retour au féminin en soi. Les femmes, de même que les hommes sensibles à leur part féminine, ont beaucoup à faire pour œuvrer dans le sens de la destinée humaine. Le féminin permettra à l’humanité d’opérer un retour vers le divin. C’est pourquoi les femmes doivent guérir de leur faux rôle et de leur image tronquée du féminin : séduction, imitation de l’homme, reproduction etc. C’est grâce au féminin véritable qui enfante que nous ferons naître intérieurement le fruit de notre amour, c’est à dire notre créativité, ce que nous sommes venus exprimer et manifester en ce monde. Le parcours de Marie-Madeleine, pécheresse repentie, témoigne de la possible rédemption de l’humanité chutée dans l’abîme.
        Il fallait donc qu’une femme, proche de la condition humaine rencontre le Christ en premier, pour que soit désignée le féminin en tant que moyen d’accès à la rédemption, ainsi que celle qui sera l’apôtre des apôtres, initiatrice de l’évangélisation des autres pays dans le monde. Nous la retrouvons d’ailleurs dans ce rôle dans l’Évangile de Marie, alors que le Christ demande aux apôtres d’aller annoncer l’Évangile :

        « Car c’est à l’intérieur de vous qu’est le Fils de l’Homme; allez à Lui : ceux qui Le cherchent Le trouvent. En marche ! Annoncez l’Évangile du Royaume. N’imposez aucune règle, hormis celle dont je fus le Témoin. N’ajoutez pas de lois à celles de celui qui a donné la Thora, afin de ne pas en devenir les esclaves. »
        (…) Les disciples étaient dans la peine :
        « Comment se rendre chez les païens et annoncer l’Évangile du Royaume du Fils de l’Homme? Ils ne l’ont pas épargné, comment nous épargneraient-ils? »
        Alors Marie se leva, elle les embrassa tous et dit à ses frères :
        « Ne soyez pas dans la peine et le doute, car Sa grâce vous accompagnera et vous protégera : louons plutôt Sa grandeur, car Il nous a préparés. Il nous appelle à devenir pleinement humains. »
        Par ces paroles, Marie tourna leur cœurs vers le Bien ; ils s’éclairèrent aux paroles de l’Enseigneur.

        Marie-Madeleine encourage les apôtres à évangéliser en toute confiance. Elle a reçu cette mission pour la communauté des apôtres lors du baptême du feu de la Pentecôte.
        Nous avons également le message du Christ qui signifie bien que l’évangélisation repose sur le fait de chercher le Christ (le Fils de l’Homme) en soi, et de se limiter au seul commandement de fraternité qu’il a laissé pendant la Cène : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». (Jean XIII, 34)
        Toute nouvelle loi réduit à l’esclavage par la pensée. Le Christ souligne clairement la soumission aux lois, aux dogmes, qui empêchent d’être libre. En quelques phrases, l’enseignement est résumé : liberté et fraternité. De la liberté individuelle découle la fraternité, l’envie d’aider les autres, et de servir le monde divin:

        • Liberté de rejoindre le Christ en soi : le chercher à l’extérieur est illusoire.
        • Fraternité entre les apôtres, ce qu’illustre Marie-Madeleine en leur communiquant sa confiance, ses encouragements, et sa fraternité à l’égard du monde, en allant évangéliser et témoigner du Christ.

        A notre époque, pour les amis du Christ, l’évangélisation se fait d’une autre manière :

        • par le témoignage et le partage de la conquête notre liberté intérieure par rapport au monde extérieur.
        • par notre contribution au service de la vérité, de la beauté et de la bonté dans le monde, par amour et dans un but fraternel, comme le Christ l’a fait pour nous, afin d’aider l’humanité à s’élever. Cela commence tout simplement par l’apport aux autres de notre propre éthique, basée sur la volonté de bien pour le plus grand nombre, à chaque instant de notre vie.

        Comment rencontrer le Christ ?

        Le retour du Christ a été prophétisé dans les Actes des Apôtres, lors de l’Ascension : « Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel ». (Actes 1, 11)

        Comment est-il possible de vivre La rencontre à notre époque ?
        Il existe différentes manières de rencontrer le Christ. Dans notre quotidien, et dans nos relations avec les autres, comme dans notre vie intérieure, à mesure que nous devenons de plus en plus conscients. C’est à dire quand nous vivons le chemin parcouru par Marie-Madeleine.

        Quand nous ressentons, tel Marie-Madeleine dans le tableau, ce ravissement intérieur pour le Christ, c’est aussi à notre Âme que nous nous adressons. Nous exprimons notre aspiration à la rejoindre, car elle est en quelque sorte, une partie du Christ.

        De même, lorsque nous exprimons un amour pur et sincère à l’élu(e) de notre cœur, nous nous adressons au bien en lui, le Christ, donc également à notre âme, notre « véritable moitié perdue » que nous souhaitons retrouver. C’est pourquoi ce qui nous émerveille chez les autres au point de les aimer, nous le portons également nous-mêmes… Nous éveillons dans notre cœur un amour infini, cette énergie christique immortelle, et dans ces moments de grâce, qui nous sont donnés au fil de notre destinée, nous la reconnaissons aussi chez d’autres, car elle émane la volonté de bien pour le monde.

        Cette « grâce » arrive quand nous-mêmes avons déjà commencé à renoncer, à sacrifier une part de notre égoïsme par amour pour le Bien. Dès lors, nous voyons les autres différemment, nous captons ce qui en eux est bon, ce à quoi auparavant nous étions aveugle. Car en révélant en nous le bien, notre essence christique, nous voyons également celle des autres. Nous pouvons même croire qu’ils ont changé, alors que c’est peut-être nous qui voyons les autres différemment. Nous passons de l’indifférence : l’autre ne m’intéresse pas car il ne peut rien m’apporter; à l’intérêt sincère pour autrui : l’autre m’intéresse parce qu’il émane : la paix, la bonté, la sagesse etc. c’est à dire quelque chose qui fait écho en moi parce que moi-même, je le porte et qu’il commence à émerger de moi.

        La première étape de rencontre avec le Christ en soi, nous la vivons par le ressenti de l’aspiration au bien. Nous touchons notre propre divinité. La déviance étant de vouloir la perfection tout de suite…La perfection n’est pas encore de ce monde, il reste du chemin à faire, et c’est le sens même de l’incarnation. Il n’est pas question de créer le paradis sur terre sans avoir parcouru le chemin à faire. L’important ce n’est pas le but, mais le chemin, les efforts que nous faisons pour y parvenir… Ce sont les efforts prodigués par l’être humain pour se dépasser afin de se donner aux autres. C’est ce qui fait toute la grandeur et le sacré de l’évolution humaine.

        Pour chacun de nous, l’un des messages de cette rencontre peut être le suivant : Marie-Madeleine a pu rencontrer le Christ, parce qu’elle avait chassé ses démons. Il suffit donc de s’inspirer d’elle en tant que modèle. Alors, il est possible de voir le Christ (en soi, chez l’autre ou réellement, à un niveau plus élevé, telle marie-Madeleine), grâce aux efforts que nous faisons pour sortir de cette culpabilité, de cette soumission à l’ordre établi, ou à autrui, parce que nous ne nous croyons pas assez digne…

        La dignité est l’essence même de l’être humain, retrouvée grâce à la résurrection du Christ. Ne pas se sentir digne, c’est renier la présence du Christ dans notre cœur. Le rencontrer dans son cœur, nécessite de pouvoir Le reconnaître dans son essence. Il faut donc avoir, auparavant, déjà touché cette dimension d’amour christique présente en soi.

        Rencontrer le Christ nécessite d’avoir transcender un minimum son égoïsme et d’avoir cultivé une certaine foi. A mesure que la foi se construit en nous, notre force intérieure grandit. Par amour, nous nous levons intérieurement en être humain libre.

        Puis, un beau jour, si le Christ nous en offre la grâce, comme le vivent certains mystiques, nous pouvons vivre l’extase de la Rencontre…

        A chacun je l’annonce : il est vivant,
        Il est ressuscité ;
        Au milieu de nous, Il est là, présent,
        Avec nous, pour toujours.

        Je le dis à tous, que chacun de même
        A ses amis l’annonce,
        Pour que se lève en tous lieux sans retard
        Le jour du royaume des cieux.

        Voici le monde, au sens nouveau, qui s’offre
        A présent comme une patrie ;
        Chacun reçoit, enchanté, de Sa main,
        Le don d’une nouvelle vie.

        Au plus profond des abîmes marins
        S’engloutit l’horreur de la mort ;
        Léger, serein, chacun peut désormais
        Considérer son avenir.

        La voie obscure où il a cheminé
        Nous ouvre le chemin du ciel ;
        Celui aussi qui entend Son conseil
        Arrive à la Maison du Père.

        Désormais nul n’aura plus à pleurer
        Quand quelqu’un fermera les yeux ;
        Par l’au revoir assuré, tôt ou tard,
        Cette douleur est radoucie.

        Chacun aura avec chaque bonté,
        L’occasion de chauffer son cœur,
        Puisque pour lui cette semence ira
        S’épanouir en fleurs splendides.

        Il est vivant, et près de nous Il reste
        Même si tout nous abandonne !
        Aussi pour nous est-ce aujourd’hui la Fête
        Du Renouveau Universel

        Novalis – Cantique X

        Sources d’inspiration et de documentation :

        Œuvres
        Tableau page de couverture : « Apparition du Ressuscité à Marie de Magdala » Fra Angelico (1387 – 1455)
        La Maddalena a’ piedi di Cristo – Oratorio à cinq voix de Giovanni Bononcini

        Ouvrages
        Les Quatre Évangiles – Traduction de Pierre Lienhard – Eds. Iona
        Cantiques- Novalis – Eds. Gallimard Collection Poésies
        Les trois années de Christ Jésus – Emil Bock – Eds. Iona Pages 384 à 387
        L’Évangile de Marie – Jean-Yves Leloup- Eds. Albin Michel