Pour vivre sur terre, nous utilisons les ressources de la nature, que nous transformons si nécessaire. Et la nature, dans sa grande bonté, se donne et ne se fait pas payer. Pourtant, nous l’exploitons à outrance, et nous nous sommes appropriés la terre et ses ressources naturelles au moyen de l’industrialisation, dans des buts de surconsommation ou d’accumulation mercantile au point qu’elle est devenue exsangue. Nous détruisons plus vite que la terre ne peut produire.
L’industrialisation, avec l’utilisation des machines à la place du travail humain, devrait justement nous permettre de mieux répartir les richesses naturelles au lieu de n’enrichir que quelques uns pendant que d’autres meurent de faim. Car avec une consommation raisonnable, il devrait être possible de nourrir tout un chacun sur la planète.
De la pénurie à l’abondance
La croyance en la pénurie nous conduit à vouloir accumuler, spéculer, ce qui a induit le mécanisme de l’offre et de la demande, et amené à faire de la nature, du travail et de l’argent de la marchandise qui se vend au plus offrant. De plus, un tel système offre un trône aux dominants pour contrôler les autres. Pourtant, dans nos sociétés occidentales actuelles, nous voyons bien que ce ne sont pas les marchandises qui manquent, mais l’argent pour les acheter. En fait, depuis l’industrialisation, nous ne sommes plus dans la pénurie mais dans l’abondance. Or le système est resté le même, et il est ainsi fait que l’argent est accessible pour certains et pas pour d’autres.
Pourquoi ? parce que nous nous laissons diriger dans ce sens. Nous nous sommes laissés asservir par un système qui fonctionne encore sur la croyance en la pénurie. Ce qui donne comme croyance « Je dois travailler pour gagner ma vie ». C’est un non sens puisque la vie nous est donnée et que la nature peut pourvoir à tous nos besoins ! La situation que nous vivons n’est en rien normale. Notre système économique actuel, le capitalisme, est resté sur le mode de la sélection naturelle fonctionnant dans un contexte de pénurie. Ce système perdure parce que nous n’avons pas vu l’évolution se faire, donc nous avons laissé faire, et nous pensons encore devoir continuer à subir ce sort. Si l’on observe la vie des grands sages, on constate qu’ils n’ont pas besoin de posséder, car ils connaissent le principe de l’abondance, qui est au préalable spirituelle, et qui se manifeste ensuite sur la terre, avec la collaboration des êtres humains.
L’économie est l’affaire de chacun
L’une des théories du capitalisme est d’affirmer que l’intérêt personnel (à travers la recherche du profit matériel), ou individualisme profite obligatoirement à l’intérêt collectif. Comment cela peut-il être possible ? A qui cela profite-t-il vraiment ? Nous avons perdu le bon sens d’antan. De même que le communisme, en ne visant que l’intérêt collectif est destructeur, car il aliène les individualités. La solution au centre est de trouver un équilibre entre la satisfaction, l’épanouissement de l’individualité tout en ayant le souci du collectif : ce qui amène au partage fraternel. C’est d’ailleurs ce que proposent l’éco-sociétalisme ou encore l’économie distributive, où la valeur du travail et l’effort humain (dans l’économie marchande ou non) sont placés au centre. Mais tout ceci ne peut se mettre en place, qu’à partir de la base, sinon imposer un tel modèle serait une dictature aliénant tout libre-arbitre.
On dit parfois que la plus grosse ruse du diable est d’arriver à faire croire qu’il n’existe pas. De même que l’énorme ruse dans l’économie est de faire croire que l’individu de la société civile (qui fait partie de la sphère culturelle) n’est pas concerné par l’économie, que c’est l’affaire des économistes et de l’État. Or le corps social, la sphère culturelle, la sphère juridique et la sphère économique sont liés, et c’est même la sphère culturelle qui devrait donner les impulsions aux deux autres (cf. la tripartition sociale de Rudolf Steiner).
D’ailleurs, chacun d’entre nous est acteur de l’économie à chaque fois qu’il paye quelque chose ou quand il travaille, avec une conscience plus ou moins présente. Maintenir le commun des mortels dans l’ignorance que ses choix individuels de consommation influe sur la sphère économique, voire même peut l’orienter, le déresponsabiliser. C’est est l’un des « meilleurs » moyen de rester asservis en nous maintenant dans l’inconscience collective, avec l’excuse, quand ça va mal de dire : « je ne savais pas », « c’est pas moi, c’est de la faute de ceux qui sont au pouvoir ».
D’où vient l’argent ?
Chacun devrait savoir que l’argent n’est pratiquement plus créé par les pièces et les billets mais par les crédits, qui font les dépôts. Le crédit est exponentiel, puisqu’une banque peut créer en monnaie, par le crédit, 90 fois plus que le montant de ses dépôts.
Ce qui est le plus gênant, ce n’est pas tant le crédit, car l’argent créé disparaît quand il est remboursé, mais les intérêts. Car il faut toujours créer de nouveaux crédits pour les payer (système du crédit revolving mal utilisé).
Ce principe est valable également pour l’État avec la dette publique. Là encore, ce qui est gênant, ce n’est pas la dette publique, qui finalement est minime par rapport au patrimoine total commun, mais les emprunts nouveaux qu’il faut faire pour payer les intérêts. L’essentiel des impôts sert à payer les intérêts de la dette. Alors qu’il suffirait que l’État crée de la monnaie pour son budget sans avoir à emprunter ou à devoir payer des intérêts. Ce qui aurait pour effet de réinjecter des capitaux neufs, bénéfiques à l’économie, à l’emploi, sans avoir à augmenter les impôts.
Pendant des millénaires, la perception d’intérêts (que l’on soit épargnant ou banquier-prêteur), nommée « usure » fut interdite parce que c’est tout simplement contraire à la sagesse, au bon sens, à l’intérêt commun. C’était même considéré comme du vol. L’argent ne peut pas et ne doit pas être considéré comme une marchandise, car ce n’est qu’un outil d’échange. Le banquier, dans son rôle d’intermédiaire, devrait percevoir des honoraires pour son travail d’intermédiaire, et non des sommes proportionnelles à la dette qui s’amplifie de jour en jour.
Qui a pris le pouvoir ?
Finalement, dans l’histoire les grands gagnants sont les banquiers : par le pouvoir qui leur est donné de créer la monnaie et de percevoir des intérêts, ils détiennent une puissance financière au point d’avoir pu influencer la politique des rois et celle des États. Ils dirigent depuis longtemps l’économie, laquelle a été totalement déréglementée à l’époque de Reagan et de Thatcher au nom du capitalisme dont la « main invisible » devait réguler l’économie via les marchés financiers. Cela a occasionné de nombreuses fusions-absorption de sociétés, et l’invention de produits hyper spéculatifs complètement déconnectés de l’économie réelle.
Le summum a été atteint en Europe quand la création monétaire réservée essentiellement aux banques privées a été entérinée dans le traité de Maastricht puis plus récemment dans le Traité de Lisbonne. Pourquoi les Etats ont-il fermé les yeux là-dessus ? A qui cela profite-t-il ?
En parallèle, l’accès à la Bourse et à la spéculation s’est démocratisé : tout un chacun a son compte-titre avec ses actions, et peut s’amuser sur Internet comme au casino, en oubliant que derrière, il y a des entreprises et des emplois. Les patrons vont même jusqu’à « récompenser » les salariés en les payant en actions de l’entreprise pour laquelle ils travaillent ! Ce n’est pas le fait de payer en actions qui pose problème, c’est de payer avec des actions spéculatives : dans un tel cas, c’est de la monnaie de singe !
Les États ont fermé les yeux sur les pratiques financières douteuses exercées sur les marchés boursiers, celles qui échappent à l’économie réelle. Et maintenant, en situation de crise financière, laquelle avait été pourtant annoncée depuis un moment, ce sont les États qui doivent repêcher le système afin qu’il n’entraîne pas l’économie réelle dans sa chute.
Les État veulent redéfinir les règles du capitalisme, moraliser les marchés financiers : c’est peine perdue car ce système était adapté à une économie de pénurie, pas à une économie d’abondance. Il ne sera jamais possible de retrouver la croissance en restant dans une économie basée sur l’accumulation comme solution à une situation de pénurie qui n’existe plus. Cela revient à mettre un plâtre sur une jambe de bois !
La crise financière indique que le système économique actuel a atteint ses limites
Au plan économique, pour qu’il n’y ait ni inflation ni déflation, il faut qu’il y ait autant d’argent en circulation que de marchandises. Plus il y a d’argent de créé par le crédit, plus il faut produire et donc consommer afin que le système ne s’écroule : d’où la publicité et le marketing pour nous conditionner et créer nos besoins afin que nous achetions pour écouler la production. Quand on sait que le montant des budgets consacrés à la publicité règlerait largement le problème de la faim dans le monde… cela laisse rêveur.
L’être humain en est réduit à produire et à consommer pour que le système puisse se maintenir. « Travailler plus pour gagner plus ». Cela n’augmente pas pour autant la croissance, ni ne diminue le chômage. Parce que nous sommes dans une spirale infernale : vu la proportion croissante et exponentielle que prend la dette globale dans l’économie, le système ne peut que s’écrouler.
Quand cela arrive, les monnaies alternatives, hors circuit officiel, de type bon d’achat ou bon d’échange, sont utilisées pour pouvoir continuer à se procurer des biens et services. Pourquoi ne s’en servir qu’en période de crise, alors que les expériences montrent qu’elles fonctionnent beaucoup mieux quand les individus en font le choix par préoccupation éthique ? Les systèmes qui existent actuellement sont les Systèmes d’Echanges Locaux et la monnaie SOL. Dans la monnaie SOL, s’ajoute un facteur d’implication citoyenne et une éthique.
Que peut-on faire individuellement ?
1) Premièrement, changer d’état d’esprit concernant la pénurie en commençant à penser à l’endroit, en se déconditionnant de la conscience collective, malgré tout ce qui nous a été inculqué depuis des siècles, c’est à dire :
– penser que l’humanité est capable de produire suffisamment à partir des ressources naturelles pour que chaque être humain puisse vivre décemment sur terre.
– respecter la nature afin qu’elle puisse répondre durablement à nos besoins
– ne plus chercher à travailler pour gagner sa vie au risque de la perdre, mais chercher à se révéler à travers nos activités, ce qui implique une démarche spirituelle ou pour le moins, philosophique. Et pour aller plus loin, si nous avons un projet qui nous tient à cœur, qui est notre but de vie : penser à l’endroit, c’est aussi se dire que ce projet est réalisable et que les moyens financiers suivront forcément, d’une manière ou d’une autre. L’abondance rime avec confiance. Cependant, seule l’expérience personnelle permet de le vérifier par soi-même, ce qui nécessite à un moment donné un réel retournement, un travail sur soi et même souvent une sorte de saut dans le vide.
2) Deuxièmement, changer ses comportements au quotidien en pensant à l’intérêt collectif : restreindre sa consommation, acheter ce qui est nécessaire, éviter le superflu, car tout ce qui est consommé devient déchet à recycler. L’idéal est de recycler au maximum. Les pays industrialisés consomment 4 à 5 fois plus de ressources que ce que la terre peut leur donner (cf. l’empreinte écologique). C’est aussi renoncer peu à peu au désir de posséder pour se sécuriser, puisqu’il n’y a plus lieu d’avoir peur de manquer !
Plus nous utiliserons notre libre-arbitre dans nos achats, plus les entreprises devront revoir les produits qu’ils proposent. La preuve en est avec la mode de l’écologie et du développement dit « durable » que les industriels ont pris en compte. Ne craignons pas de faire s’écrouler le système en consommant moins ou mieux, c’est qu’on veut nous faire croire pour nous maintenir dans la peur : le système s’adaptera et se régulera de lui-même à partir de la base. Reprenons notre pouvoir en utilisant notre libre-arbitre. Revenir à une consommation saine pour une vie plus saine, en estimant avec confiance que les biens existent en abondance et qu’il n’est plus nécessaire d’accumuler, de stocker et de posséder, cela devient vital pour l’humanité et pour la planète.
3= Troisièmement, s’intéresser à ce qui se passe dans l’économie, s’éduquer, se renseigner, pour avoir une critique saine, et devenir acteur dans la société civile afin d’influencer les choix des instances politiques, de sorte que la démocratie ne se réduise pas au bulletin de vote glissé dans l’urne électorale. Les exemples d’actions de la société civile inspirés pour certains l’esprit de la tripartition sociale, ne manquent pas au niveau local, à travers des comités locaux qui se créent, dans certaines communes de France (avec l’appui de Conseils Généraux ou Régionaux, y compris dans la mise en place de monnaies alternatives dans un contexte parfaitement légal), aux Philippines, en Amérique Latine et même aux États-Unis !
S’ajoutent à cela les initiatives lancées par le mouvement des « créatifs culturels » qui représentent 17% de la population française, auxquels s’ajoutent 21% d’altercréatifs (qui ont le souhait de faire évoluer le monde, sans avoir nécessairement l’approche spirituelle qu’ont les créatifs culturels). La quantification de ce mouvement a commencé au Etats-Unis (les chiffres sont même un peu plus élevés), et elle se fait progressivement dans les pays européens. On peut donc imaginer l’impulsion d’une « démocratie évolutive » qui va encore plus loin que la simple « démocratie participative ».
C’est seulement à ce « prix » que nous pourrons préparer et semer la société de demain, pour les générations futures. L’espérance est à notre portée : le monde nouveau, c’est la base, nous tous, qui le créeront, et non pas l’État, ni les financiers. C’est à chacun de le voir, d’en faire le choix et de devenir acteurs-semeurs de graines d’espérance, car là se trouve le secret de la véritable valeur…
© Rosa Lise