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Le mythe de Salomé

Un étude à partir des Évangiles, de la tragédie d’Oscar Wilde, reprise dans l’opéra de Richard Strauss.

Cette étude est dédiée à Jean le Baptiste,
aux prophètes et aux précurseurs des temps modernes.

Salomé dansant devant Hérode, Gustave Moreau
Salomé dansant devant Hérode, Gustave Moreau

Sommaire

1. Présentation du drame de la décollation de Jean le Baptiste
2. Les étapes du drame et leurs symboliques
3. Les rôles des personnages et les trois tentations
4. La résurgence du mythe de Salomé à la fin du 19ème siècle
5. Définition et fonctionnement de la passion
6. La passion de Salomé
7. La saine passion
8. Salomé,fleur mystique

1. Présentation du drame de la décollation de Jean le Baptiste

Jean le Baptiste était le prophète qui annonça la venue du Christ, et qui en fût le premier témoin, lorsqu’il Le baptisa dans le Jourdain. Il était également le précurseur de la métanoïa (étym. : du grec, le retournement de la pensée), proposant au peuple de changer d’état d’esprit pour se tourner vers le royaume des cieux : le monde divin.

L’Évangile de Marc présente les circonstances de la mort du prophète :

« Hérode avait lui-même donné l’ordre de saisir Jean et de le mettre aux fers, en prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, qu’il avait épousée. Car Jean disait à Hérode : « Il ne n’est pas permis d’avoir la femme de ton frère. » Mais Hérodiade lui en gardait rancune et voulait le faire mourir, sans y parvenir. Car Hérode craignait Jean, le connaissant comme un homme juste et saint. Il le protégeait et l’écoutait volontiers, malgré l’embarras où cela le mettait bien souvent.
Mais l’occasion favorable se présenta lorsque Hérode, pour son jour de naissance, offrit un festin à ses dignitaires, à ses officiers et aux principales personnalités de la Galilée.
La fille d’Hérodiade entra et dansa, et elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu voudras et je te le donnerai ». Il alla jusqu’à lui faire des serments : « Quoi que tu me demandes je te le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume. » Étant sortie, elle dit à sa mère : « Que dois-je lui demander? » Celle-ci répond : « La tête de Jean le Baptiste ». Étant rentrée aussitôt, la jeune fille se hâta vers le roi et lui fit la demande : « Je veux que tu me donnes immédiatement la tête de Jean le Baptiste ».
Le roi se mit à regretter amèrement les serments qu’il avait faits devant les convives, et n’osa pas lui opposer un refus. Il donna aussitôt l’ordre à un garde d’aller et d’apporter la tête de Jean. Le garde alla, décapita Jean dans la prison, et apporta le tête sur un plat. Il la donna à la jeune fille et la jeune fille l’apporta à sa mère.
Ayant appris la nouvelle, les disciples de Jean vinrent prendre son corps pour le mettre dans un tombeau ».
Marc (VI, 17-29)

Jean le Baptiste avait été emprisonné une deuxième fois parce qu’il dénonçait la relation contraire à la loi de l’époque entre Hérode et Hérodiade, mais aussi parce qu’il commençait à représenter un danger pour le pouvoir en raison du nombre de disciples qu’il réunissait auprès de lui en pratiquant le Baptême dans le Jourdain.
La rencontre de Salomé et de Jean, imaginée par Oscar Wilde, précède le festin organisé par Hérode à Machéronte. Salomé, qui a entendu parler de Jean le Baptiste, veut absolument le rencontrer. Le garde cède à son caprice et lui présente.
Cette scène est comme une comme parenthèse ajoutée à l’histoire, qui illustre bien comment naît et progresse la passion.

Après cette scène de rencontre avec Jean, Salomé passera du désir-passion à la séduction. Son beau-père Hérode est attiré par elle, il la désire et lui demande de danser pour lui, contre le cadeau qu’elle voudra. Matthieu laisse entendre que sa décollation était prévue d’avance, grâce à ce stratagème, car Hérode n’avait pas de prétexte valable aux yeux du public pour le condamner à mort :

« Il voulait le faire mourir, mais il craignait la foule, parce qu’elle regardait Jean comme un prophète ». Matthieu (XIV,5)

Elle joue alors la danse « merveilleusement diabolique » des sept voiles jusqu’à se dévêtir totalement, et demande pour récompense la tête de Jean-Baptiste sur un plateau d’argent (qui n’est pas sans évoquer la Lune), sur la suggestion de sa mère Hérodiade, qui elle, vise un autre but : celui de faire taire Jean.

La danse des sept voiles, par Gaston Bussière 1925
La danse des sept voiles, par Gaston Bussière 1925

2. Les étapes du drame et leurs symboliques

La rencontre de Jean le Baptiste et de Salomé est comme un dialogue de sourds, où il n’y a pas de communication directe : Jean ne veut pas entendre les paroles de Salomé qui passe sans arrêt de la passion amoureuse à la haine, du désir charnel au rejet. Elle exprime la beauté extérieure qu’elle ressent chez Jean, dans son apparence. Elle déverse son attirance par la parole, tandis que Jean parle peu, mais dit l’essentiel.

Dans l’opéra, le discours de Salomé, rappelle le symbolisme de l’évolution spirituelle, notamment à propos de la Chute, et de la transformation pour se relever :
– Elle commence avec le blanc, couleur du lys, de la pureté, du pain, de la mère-lune : aspect maternité. Pour moi, cela représente la pureté originelle, du Paradis d’avant la Chute.
D’ailleurs, Jean en la nommant « fille de Babylone » nous rappelle la chute de l’humanité et Eve, la femme lunaire tentée par le diable. Puis il termine en parlant du Christ, c’est ce qui va tout de suite la faire chuter :
– Elle passe alors à la couleur noir ; elle plonge dans sa propre noirceur en évoquant les serpents, les scorpions, le côté repoussant de l’incarnation dans ce qu’il y a d’impur. Puis elle idéalise le noir et les forces du même nom… C’est pourquoi Jean lui parle de profanation du temple de Dieu.
A ces mots, elle le rejette de nouveau, comme si elle chutait encore : avec de nouveaux symboles; la couronne d’épine : qui représente l’anti-symbole de la royauté et donc le ridicule; les serpents noirs : encore le tentateur.
– Puis elle sort du noir et passe à la couleur rouge, celle du sang de la vie, comme si elle renaissait. C’est la couleur de la rose : qui est à la passion ce que le lys est à la pureté; le vin : ou le sang. Elle évoque même la victoire sur l’animal en soi : le lion, animal royal etc. Tout cela tourne autour de la couleur rouge du sang et de la passion. On y trouve aussi la condition de l’incarnation qu’est le travail, symbolisant l’effort à faire pour se rédempter. Salomé dispose donc du potentiel pour se rédempter, sans le savoir, elle en exprime tout le processus, mais elle n’en est pas consciente. La preuve en est son entêtement capricieux à vouloir baiser la bouche de Jean.

Le jeune Syrien lui lance un appel pour l’ouvrir au discernement, lui rappeler ce potentiel de pureté, d’innocence, pour ne pas qu’elle chute. C’est à ce moment que se présente, face à la tentation, le choix entre le bien et le mal (le non choix, comme dans le cas de Salomé étant le choix du mal). Mais elle ne l’entend pas, son désir est plus fort. Symboliquement, le jeune Syrien représente son Ange, qui l’aime plus que tout et qui veut la protéger.

Jean lui propose alors l’ultime solution : le Christ, pour qu’elle se convertisse, il lui indique comment Le rencontrer : il est totalement dans son rôle de précurseur.
Mais Salomé ne va retenir qu’une chose : Jean la répudie pour suivre le Christ. Comment pourrait-elle aimer celui qui lui « vole » Jean? Pourtant elle s’obstine à vouloir embrasser la vérité, qui sort de la bouche de Jean, donc le Christ et le verbe à travers Jean.
Elle est complètement écartelée entre le bien et le mal, toujours inconsciemment, entre ce que je pense être sa spécificité (beauté, parole pure) et son reflet extérieur (la parole juste de Jean, sa beauté, son engagement, sa fidélité etc.). Elle veut absolument le posséder, à plus forte raison parce qu’il l’a répudiée.
Elle s’en fait un défi, une promesse, et elle ira jusqu’au bout de son engagement extérieur : le germe de la vengeance est bien présent.
On peut considérer que l’image de la danse des sept voiles fait écho aux aux sept péchés capitaux, représentés, mais aussi aux sept chutes du Christ sur le chemin de croix lors de Sa Passion, qui en est le modèle de rédemption. D’ailleurs, Marie-Madeleine fût délivrée des sept démons par le Christ ce qui montre que cette rédemption est possible aussi pour tout être humain.

A ce moment-là, le jeune Syrien se suicide : cela représente la souffrance de l’ange qui sait que sa protégée est perdue et qu’il ne peut plus rien pour elle. C’est son libre-arbitre de faire le choix du mal par un non choix, et il le respecte.
Jean sait aussi qu’elle a chuté, qu’elle a perdu son innocence à partir de cet instant, c’est pourquoi il lui dit qu’elle est maudite. Il sait aussi, par conséquent ce qui l’attend lui : la décollation.

3. Les rôles des personnages et les trois tentations

Dans cette histoire, autour de la mort de Jean le Baptiste, outre le décor somptueux d’apparat, tout n’est qu’ambiance d’envies, de désirs, de passions où chaque personnage, au but peu avouable, incarne aussi l’une des trois tentations de se détourner d’une intention pure:

– Avec le vieil Hérode, c’est la tentation par l’envie sexuelle envers sa belle-fille Salomé : hypnotisé, il se laisse manipuler avec faiblesse par Hérodiade, et charmer par la danse des sept voiles de Salomé. Il voulait contempler la fraîcheur et la beauté de Salomé qu’il désirait tant, pour retrouver un regain de jeunesse à travers elle (le démon de midi). Hérode incarne l’homme faible, esclave de ses instincts. Il symbolise la sexualité et le corps physique à transcender.

– Avec Salomé, c’est la tentation par l’amour passionnel pour Jean. Elle préféra le savoir mort, plutôt que vivant sans elle, ou pour une autre cause qu’elle. On retrouve le processus de l’idéalisation, du rejet et de la manipulation. Salomé incarne l’adulte irresponsable et écervelée, esclave de son attachement et de ses caprices. Elle symbolise le sentiment à purifier.

– Avec Hérodiade, c’est la tentation par son goût du pouvoir. Elle saura les manipuler tous les deux, car elle veut voler le don de Jean et le tuer parce qu’il dénonce partout sa relation à Hérode. Hérodiade voulait voler le don de clairvoyance de Jean, en récupérant sa tête et son sang. Hérodiade incarne le femme forte dans l’abus de pouvoir, qui imite l’homme, voire prend son rôle, pense et décide à sa place. Elle symbolise la pensée à élever.

Les trois personnages se sont unis pour détruire le personnage qui incarnait le bien. Ce qui les a perdus, tous les trois, c’est l’ignorance (de la portée de leur acte), l’orgueil (à cause du « qu’en dira-t-on »), l’égoïsme (servir leurs intérêts propres avant ceux du peuple) et surtout l’inconscience : alors qu’ils ont le modèle vivant de la conscience de soi devant eux, ils l’ont tué! Pour ne plus entendre la vérité, qui sortait de sa bouche, et le chemin et qui nous y mène. Cela symbolise typiquement le refus de la métanoïa, que se vit encore plus fort notre société actuelle dans le rejet de la spiritualité au profit du matérialisme.

Jean le Baptiste a eu la gorge tranchée : c’était par la voix qu’il prophétisait… qu’il exhortait le peuple à se faire baptiser, à retourner sa pensée et à suivre Christ. Il incarne, outre le Précurseur, la conscience de soi, et la pensée vivante.

4. La résurgence du mythe de Salomé à la fin du 19ème siècle.

Bien que quelques peintres italiens de la Renaissance aient peint la décollation de Jean Le Baptiste, le mythe de Salomé (et de la femme fatale) est apparu à la fin du 19ème siècle, à travers l’art, avec, parmi les plus connus : Stéphane Mallarmé, Oscar Wilde, Gustave Flaubert, Jules Laforgue, Gustave Moreau, Richard Strauss, etc.

Cela correspond au début de la société matérialiste, avec notamment les inventions et l’industrialisation. Ce n’est donc pas un hasard si le mythe de Salomé, lié à l’histoire du Précurseur, Jean le Baptiste, refait surface au même moment, dans l’art : poésie, littérature, peinture, musique etc.

On retrouve selon les différents artistes, le dégoût, l’idéalisation, la réhabilitation, le pardon etc. avec la réapparition du culte de la beauté extérieure, que l’homme veut posséder pour lui, et la femme imiter: elle veut désormais être tout à la fois : mère, amante, et forte comme l’homme.

La fin du 19ème siècle coïncide également avec la venue sur terre de Rudolf Steiner, tel un Précurseur, pour annoncer le retour du Christ dans le monde divin (accessible par clairvoyance).

A notre époque, la chanteuse américaine Madonna représente bien pour moi la Salomé des temps modernes, tiraillée entre le bien et le mal, entre la virginité et la passion destructrice. Son personnage, ses chansons et ses clips (par exemple « like a virgin ») mêlent la dévotion à la Vierge (comme son nom l’indique : Madonna) à la séduction provocatrice sur un fond de sado-masochisme, ce qui plaît énormément au public. Sa célébrité en témoigne.

5. Définition et fonctionnement de la passion

Étymologie du mots PASSION : du latin passio, passionis « affection de l’âme »; du latin ecclésiastique « souffrir avec »: du grec pathos « passion du Christ », douleur physique », « sentiment violent ».

Paule Salomon, dans « La femme solaire », décrit de façon assez complète l’amour-passion, en tant que dérive de l’amour courtois :
« L’amour-passion est la version profane, défigurée de l’amour courtois, il continue d’être le ressort privilégié des chansons, des films, des romans, parce qu’il véhicule un peu de cette aura mystique de l’amour courtois. Chacun lui accorde le fait de détenir une clé de vie essentielle. Mais le secret s’est éloigné, enlisé dans des comportements qui n’ont plus aucun but spirituel. Se prenant pour une fin en soi, il devient facilement la passion de la passion, le plaisir de cultiver des sensations, fussent-elles de souffrance. L’intensité de ce qui est ressenti devient une raison de vivre… ou de mourir.(…) L’amour-passion, dont les mécanismes nous subjuguent d’autant plus qu’ils nous dépassent, est un puzzle raffiné de comportements destructeurs qui inversent et défigurent l’amour courtois. On cultive cet amour fatal parce qu’il est censé apporter l’aventure, le souffle de la poésie, une révélation sur soi-même et sur la vie, une source de jouissances renouvelées, une récréation, une ouverture sur l’intensité et l’ouverture du désir, une illusion de plénitude et de liberté. »

Pour ma part, je perçois la passion, au départ, comme une pure énergie d’amour et de bien qui part du Moi spirituel. C’est une saine passion. Si l’énergie est récupérée à des fins égoïstes, elle se manifeste différemment en fonction de la nature et du tempérament dominant de chacun, mais selon un scénario, que chacun répète à sa manière, et souvent depuis des vies… C’est le karma avec la roue qui tourne, jusqu’à ce qu’un éclair de conscience de soi et un minimum d’aspiration ou de foi nous incite à modifier le film jusqu’à en sortir un jour définitivement. Cette énergie pure est donc dénaturée en passant par la volonté, le sentiment, la pensée, voire deux ou trois à la fois.

Ce que l’on croit souvent être de l’amour ou du sentiment est en réalité de l’attachement. Ce que l’on croît donc être le grand amour, surtout avec un coup de foudre, est souvent une passion destructrice. C’est pourquoi on dit souvent que le coup de foudre ne dure pas et qu’il brûle tout sur son passage. On peut dire que la passion destructrice est comme une forme de possession par les démons. On émane le mal, alors qu’on rayonne le bien, quand on est empli de la passion christique. Dans les Évangiles, on lit souvent que le Christ guérit des gens qui ont des démons.

Le poème qui suit de Charles Baudelaire en décrit bien le processus :

La Destruction

Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon;
Il nage autour de moi comme un air impalpable;
Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon
Et l’emplit d’un désir éternel et coupable.

Parfois il prend, sachant mon grand amour de l’Art,
La forme de la plus séduisante des femmes,
Et, sous de spécieux prétextes de cafard,
Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes.

Il me conduit ainsi loin du regard de Dieu,
Haletant et brisé de fatigue, au milieu
Des plaines de l’Ennui, profondes et désertes,

Et jette dans mes yeux pleins de confusion
Des vêtements souillés, des blessures ouvertes,
Et l’appareil sanglant de la Destruction.

6. La passion de Salomé

L’immaturité, le tempérament capricieux et revanchard de Salomé l’ont conduite à l’acte qui causa sa perte. Salomé s’est laissée manipuler par sa mère. Elle a « vendu » sa beauté, elle a trahi elle-même son innocence, sa pureté. Car initialement, se cherchant elle-même, elle s’est reconnue à travers Jean. Elle a voulu posséder ce qu’elle avait trouvé de si merveilleux en lui. Ce sentiment, devenu passion, a été dévoyé et détourné en passion destructrice. Son adoration, a été récupérée par le pouvoir : si elle a tué, c’est parce qu’elle a souffert, et qu’elle n’avait pas la force et la maturité pour dépasser sa souffrance instinctive.
Il semble pourtant qu’au départ elle ait eu un sentiment pur, mais déconnecté de la raison. Comme si son niveau de conscience était infra-humaine, ce qui l’a faite agir de manière totalement irresponsable, notamment pendant sa danse, tel un zombie hypnotisé, dirigé par ses désirs instinctifs.

La question est de savoir : qu’est-ce que voulait-elle exactement profondément au départ, pour que toute cette énergie soit détournée en pareille destruction ?
Pour moi, son vouloir initial était d’être compagne (« celle qui partage le pain »), servante et disciple de Jean. Le sentiment a enrobé cette intention pure en la polluant : elle a voulu devenir sa compagne dans le couple. Face au refus de Jean, elle a voulu posséder Jean-Baptiste, malgré lui, donc en passant par la mort, dans un vouloir instinctif. Elle a dit : « je baiserai ta bouche », comme un entêtement associé à la passion. Elle l’a obtenu, mais de force, sans l’accord de Jean, en embrassant sa bouche sans vie.

Nous avons ici le schéma type du crime passionnel et de la machination machiavélique lorsque ce dysfonctionnement est poussé à l’extrême.

Salomé, Jan Adam Cruzemann
Salomé, Jan Adam Cruzemann

7. La saine passion

« Rejetez donc toute méchanceté et toute ruse, toute forme d’hypocrisie, d’envie, de médisance. Comme des enfants nouveaux-nés, désirez le lait pur de la parole, afin que par lui, vous grandissiez pour le salut, si vous avez goûté que le Seigneur est bon ».
1ère Épitre de Pierre (II, 1-3).

La saine Passion, cela fait souffrir, mais on sacrifie ses désirs égoïstes parce qu’on l’a choisi. On passe au renoncement et à l’abnégation. On intériorise sa souffrance par amour. Ce n’est plus l’ego qui souffre de privation de sa nourriture préférée, mais c’est l’être spirituel qui souffre de s’être trahi et d’avoir trahi le, Christ et qui veut réparer : cette souffrance se transforme alors en une joie de se transcender. C’est une manière de se « refaire une virginité ».

On peut dire que la virginité spirituelle est reliée à la beauté et à l’art en général, qui inclut aussi bien le monde des images que celui des mots et des sons. La virginité spirituelle concerne donc le sentiment, la relation, et donc la parole juste, le tact, qui nécessite réceptivité, écoute, disponibilité pour autrui, grâce à un vide créé en soi, qui permet l’accueil.
Ce n’est pas un vide que l’on subit, ni qu’on cherche à remplir par manque en sortant l’énergie de soi. C’est le vide d’une place que l’on choisit de faire en soi pour créer la coupe de la réceptivité, qui se hisse vers le monde spirituel, afin de créer la relation à l’Ange. On n’est plus coupé mais relié : on entre en religion intérieurement, on porte le voile… On porte le voile de la sagesse et de la pureté, signe de notre engagement et de notre dévotion, et non plus les sept voiles Salomé qui nous avaient fait chuter.
On atteint alors le vrai don de soi, la charité véritable, où l’on se donne au monde sans se faire connaître, donc sans rien attendre en retour.
Dans un sens plus large, la virginité spirituelle permet de contacter la beauté du Verbe, qui s’exprime avec des mots purs emplis de vérité, résonnant dans notre cœur. Rudolf Steiner disait d’ailleurs de la poésie « qu’elle sert à capter l’éternel dans le souffle qui passe« .

8. Salomé, fleur mystique

« Ma sœur, qu’est-ce qui te fait tant souffrir ? »

Je ressens de la compassion pour Salomé, car je crois, au risque de s’y identifier, que nous sommes nombreux à porter en nous sans le savoir une belle et dangereuse Salomé, aimant le Précurseur, mais aussi ignorante, qui veut l’empêcher de prophétiser, pour qu’il se taise… telle une vielle rancune contre le monde divin qui un beau jour, nous a abandonnés.
Notre chance est que, depuis la venue du Christ, nous portons tous également une force en nous, ce que n’avait pas Salomé.

Salomé a certainement eu pour modèle de rédemption l’exemple de Marie-Madeleine. Plusieurs fois, elle a chuté dans ses passions, et chaque fois elle s’est relevée, jusqu’à retrouver sa pureté. Elle est un modèle de transformation. Mais la très jeune Salomé n’avait probablement pas sa maturité, sa force et sa générosité.

La solution aurait été qu’elle choisisse de se ranger aux côtés de Jean, de devenir sa compagne (telle Marie-Madeleine avec Christ). Jouer la danse de la vie, et non celle de la mort : célébrer la vie, la pensée vivante que préconise Jean le Baptiste. Elle aurait pu obtenir le baiser de Jean de son vivant (le baiser de l’Esprit, de bienvenue, le mélange des souffles) en gage d’amitié fraternelle, si ses intentions n’avaient pas été possessives.
Salomé transcendée, cela donne la fleur mystique, pure fleur qui rejaillit parmi les morts, c’est à dire parmi ce qu’elle a détruit en elle pour renaître, telle la femme-lys avec la croix, et la colombe :

La fleur mystique, Gustave Moreau
La fleur mystique, Gustave Moreau

Qu’est devenue ensuite Salomé ?

Dans la tragédie d’Oscar Wilde, Hérode fini par ordonner que Salomé soit tuée.

Si Salomé a pu vire ensuite le remord, son seul salut aurait été le pardon et la compensation.
Cela dit, il y avait beaucoup de femmes se nommant Salomé à l’époque du Christ, dont une, présente parmi les saintes femmes au moment de la Passion du Christ. Etait-ce elle ou une autre? D’autre part, A-C Emmerich parle d’une jeune fille riche qui a été délivrée de ses démons par Christ. Etait-ce Salomé?

Jacques de Voragine, dans la Légende Dorée, nous raconte que César a fait exiler Hérode et Hérodiade à Lyon. Et que Salomé serait morte en marchant sur l’eau glacée d’un fleuve, la glace se brisant aurait tranché sa tête, la laissant sur la glace comme sur un plateau d’argent…

Épilogue

Salomé a été l’instrument de sa mère et sa complice dans le crime. Elle agit sur une impulsion passionnelle, instinctive et irréfléchie. Le « cerveau » dans l’affaire, c’est Hérodiade. Je pense qu’elle porte l’essentiel de la responsabilité dans la mort de Jean.

« L’amour de son sang lavera ce que Eve notre mère souilla.« 
(Roman de Perceforest)

Voir le poème « La passion Salomé »

© Rosa Lise

Sources d’étude et  d’inspiration :

Livres
Salomé – Oscar Wilde – Eds. GF Flammarion
Les quatre évangiles – Pierre Lienhard – Eds. Iona
Visions d’Anne-Catherine Emmerich – Eds. Téqui
La Légende Dorée – Jacques de Voragine – Ed. GF Flammarion
Dictionnaire de la Bible – Eds. Laffont
Les Fleurs du Mal – Baudelaire – Eds. Livre de Poche
La femme Solaire – Paule Salomon – Eds. Albin Michel

Peintures
Salomé dansant devant Hérode, Gustave Moreau
La danse des sept voiles, par Gaston Bussière 1925
Salomé, Jan Adam Cruzemann
La fleur mystique, Gustave Moreau (Musée Gustave Moreau – Paris)

Musique
Opéra : Salomé – Richard Strauss – Herbert von Karajan


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